Romans de rentrée

En France / Record battu ! La rentrée littéraire a une fois de plus repoussé les limites du raisonnable avec la parution de 727 nouveaux romans en l'espace de quinze jours... Yann Nicol

On ne se refait pas. Malgré les 500 romans français qui paraissent pour la traditionnelle rentrée littéraire automnale, c'est sans doute le dernier livre de Richard Morgiève que nous attendions avec le plus d'impatience. Parce que l'auteur de Un petit homme de dos fait partie de ceux dont on est sûr qu'ils ne baisseront pas la garde. Parce que son exceptionnelle rage d'écrire et sa fulgurance stylistique nous promettent toujours de belles et grandes émotions artistiques. Parce qu'il fait partie de ce qu'on appellera des classiques, même si ce terme aurait sûrement le don de le faire sortir de ses gonds... Malgré un recours plus flagrant aux histoires (la grande et les petites), Miracles et légendes de mon pays en guerre (Denoël) reste un Morgiève pur jus, c'est-à-dire un livre radical qui nous bouscule, nous ébranle, nous heurte parfois jusqu'au dégoût mais qui nous laisse une trace indélébile. À lire d'urgence, donc, si vous ne considérez pas la littérature comme un aimable moyen de passer le temps... Les écrivains de cette rentrée sont d'ailleurs peu nombreux à nous conter fleurette. La mort rôde dans les livres très réussis (et très différents) de Philippe Forest, même si ce dernier semble prendre un nouveau départ avec son émouvant Le Nouvel amour (Gallimard), et particulièrement dans ceux de Marie Darrieussecq et Olivia Rosenthal. Avec Tom est mort (P.O.L), l'auteur de Truismes explore l'exercice de deuil d'une mère, tandis que On n'est pas là pour disparaître (Verticales) nous plonge, par le prisme d'un tourbillon narratif inventif et maîtrisé dans les méandres de la maladie d'Alzheimer. On ne vous surprendra pas si l'on vous dit que le livre de Linda Lê (In memoriam, Bourgois), si beau soit-il, ne vous mettra pas forcément du baume au cœur...Nombrils du monde
On a suffisamment évoqué le prétendu nombrilisme de la littérature française pour reconnaître que de nombreux écrivains s'emparent cette année de “grands” sujets et donnent un regard sur la société (Olivier Adam, À l'abri de rien), l'histoire (Philippe Claudel, Le Rapport de Brodeck), la politique (Yasmina Reza, L'Aube, le soir ou la nuit), les conflits du monde (Jean Hatzfeld, La Stratégie des antilopes), ou sur les dérives du capitalisme galopant (Lydie Salvayre, Portrait de l'écrivain en animal domestique). La palme revient sans aucun doute à Eric Reinhardt, qui parvient à mêler, dans son admirable Cendrillon, l'autofiction et le roman monde avec une subtilité d'orfèvre. L'auteur du Moral des ménages écrit là son plus grand livre, un roman lucide, drôle et érudit sur (entre autres) la mondialisation, la finance internationale, la bourgeoisie de gauche, la classe moyenne, la misère sexuelle, l'exclusion sociale, l'obscénité cathodique, les pieds cambrés, l'amour absolu, la poésie de Mallarmé et... sur lui-même. On vous reparlera très vite des romans de Cécile Wajsbrot, Alain Fleischer, Christophe Donner, Antoine Volodine, Vincent Delecroix, ou du très émouvant livre de Ghislaine Dunant, chez Grasset. Il faut faire vite, car octobre sera aussi très dense, avec notamment la parution des nouveaux romans de Alain Robbe-Grillet et Patrick Modiano (ne ratez pas l'actuelle réédition de beaucoup de ses livres en poche), ainsi que les mémoires du très médiatisé Philippe Sollers. Affaire à suivre...