Nos écrivains ont du talent

Livres / De nombreux auteurs estampillés “Rhône-Alpes” parviennent cet automne à se faire une place dans la déferlante de la rentrée littéraire. Plutôt qu’un énième (et peu excitant) roman d’Angot ou de Nothomb, faites un tour du côté de quelques talents très prometteurs de notre chère région. Vous ne serez pas déçus… Yann Nicol

C’est paradoxalement un éditeur très parisien qui nous propose le catalogue le plus rhônalpin de cette rentrée littéraire. P.O.L publie en effet deux auteurs de la région dont les romans, tous deux centrés sur l’enfance et l’adolescence, nous ont particulièrement marqué : Emmanuelle Pagano et Pierric Bailly. Le sixième livre de l’ardéchoise Emmanuelle Pagano, intitulé Les Mains gamines, confirme tout le bien que l’on pensait de cette romancière intrigante depuis les parutions de ses deux précédents livres, Le tiroir à cheveux et Les Adolescents troglodytes. Les Mains gamines sont celles d’une bande de gamins de CM2 qui ont jadis violé régulièrement l’une de leurs camarades de classe. La victime est aujourd’hui la domestique de l‘un de ses bourreaux. Mais plutôt que de lui donner la parole, Pagano a choisi de livrer les monologues de plusieurs femmes qui furent les témoins (et d’une certaine manière les complices) de ce crime, et de poser la question centrale du livre : comment vit-on lorsque l’on est la mère, la fille, la femme ou l’institutrice d’un tortionnaire ? Énigmatique, dérangeant, parfois impudique, ce livre réussit la gageure d’épaissir le mystère au fur et à mesure qu’il le révèle. Le premier roman, inclassable, de Pierric Bailly, est lui aussi un véritable tour de force stylistique. Avec Polichinelle, il fait une entrée fracassante dans le petit monde des lettres en dynamitant la langue et les codes narratifs avec une inventivité et un souffle qui interpellent. Un roman générationnel, dans lequel on retrouve le quotidien d’une bande d’adolescents du «3-9» (oui oui, le «3-9», c’est-à-dire le Jura), qui passent leurs vacances estivales entre soirées arrosées, flirts avortés et déprimes masquées. Un roman dont la langue, à mi chemin entre rap et argot jurassien, donne à cette errance adolescente une dimension et une énergie enivrantes (voir l’interview de Pierric Bailly sur le site du Petit Bulletin). Exercice d’altération
Les éditeurs de la région ne sont pas en reste puisqu’on retrouve notamment le nouveau roman de Fabienne Swiatly, Une Femme allemande, à la Fosse aux ours (notez que son précédent livre, Boire, est simultanément réédité par Ego comme X), mais aussi le premier titre de la collection À charge, lancée par la nouvelle structure éditoriale de la librairie À plus d’un titre : Les ruines de la future maison, d’Hélène Dassavray. Mais c’est sans aucun doute Champ Vallon qui frappe le plus fort avec la publication d’un premier roman littéralement scotchant, intitulé Les Récidivistes. Son jeune auteur, Laurent Nunez, s’était déjà fait remarqué par la publication d’un essai particulièrement réussi chez Corti, intitulé Les écrivains contre l’écriture, dans lequel il s’interrogeait sur les raisons qui poussaient les écrivains à écrire et sur la propension de la littérature à remplacer la vie : on y trouvait ainsi des auteurs comme Cioran, Artaud, Valery… Son roman s’inscrit dans la même dynamique, puisque Laurent Nunez a choisi de raconter son propre passage à l’écrit en se glissant dans les pas de quatre écrivains qui l’ont particulièrement inspiré : Quignard, Duras, Proust et Genet. Très loin d’un simple pastiche, Nunez ne se contente pas dans Les Récidivistes d’imiter le style de ses mentors. Il s’empare en réalité de leur mode opératoire, de leur manière d’explorer le monde et de s’explorer soi-même avec une facilité déconcertante. La partie proustienne, notamment, centrée sur la perte et, comme il se doit, sur le temps retrouvé est d’une force inouïe. Le plus remarquable est sans doute que cette démarche, d’une profonde érudition, ne verse jamais dans la démonstration ou la pédanterie, en se permettant notamment des détours ludiques et pleins d’autodérision, comme lorsque l’auteur (Nunez lui-même) raconte comment il échoue à revivre le fameux «coup de la madeleine», ou lorsqu’il vit, en tant que victime, une scène durassienne issue du Ravissement de Lol V Stein…Intime, oui, mais avec du style
L’autre grand livre de cette rentrée rhônalpine est le deuxième opus de Jane Sautière, qui avait reçu le prix Rhône-Alpes du livre pour Fragmentations d’un lieu commun et qui donne avec Nullipare (Verticales) un petit livre d’une grande intensité. Nullipare : ce terme, qui caractérise les femmes n’ayant pas eu d’enfants, est le point de départ de ce texte incandescent qui explore autant la question de la descendance que celle des origines. L’occasion pour Jane Sautière de revenir sur son pays de naissance, l’Iran, sur son existence ballotée entre différentes villes, son rapport aux lieux, mais aussi sur le corps, le vieillissement, la place de la femme dans la société… Porté par une écriture sèche et pourtant évocatrice, Nullipare s’affirme comme un livre rare, qui sait transformer les turpitudes individuelles en questions universelles grâce à la puissance émotionnelle d’une voix véritable. Dans le rayon “écriture de l’intime”, on est là à mille lieux du vide stylistique d’une Christine Angot et de son pathétique Marché des amants : ce qui renforce notre incompréhension face au silence médiatique qui entoure la sortie de ce petit bijou de sensibilité et de style. Et dire que Jane Sautière n’en est qu’à son deuxième récit…

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