La lutte continue

A la faveur du mouvement social du 29 janvier dernier et de l’incertitude toujours prégnante autour de l’avenir du statut de l’intermittence, une coordination s’est créée localement afin de s’interroger avec pragmatisme sur le devenir des professions des arts et de la culture. Le point avec Guillaume Paul, metteur en scène, participant de la coordination. Propos recueillis par François Cau

Petit Bulletin : Quel regard portes-tu sur les actions et mobilisations des deux semaines écoulées ?
Guillaume Paul : J’espère que l’heure n’est pas encore trop à la rétrospective… C’est un mouvement qui démarre, il est encore trop tôt pour savoir ce qu’il va en advenir. Mais j’ai l’impression qu’il s’inscrit vraiment dans une optique de rapprochement entre des personnes en lutte dans différents secteurs. On est allé aux Assemblées Générales des enseignants chercheurs, des éducateurs populaires et des étudiants, et ce qui est drôle, c’est qu’on a vu exactement les mêmes diatribes, les mêmes questionnements pour savoir si on lutte contre ce gouvernement qui nous emmerde, ou si on est sur nos terrains de défense, nos statuts, nos subventions, nos budgets. De mon côté, je suis vraiment déterminé pour qu’on lutte ensemble.Qu’est-ce qui avait empêché cette convergence des luttes jusqu’à présent ?
Je crois que c’est nous-mêmes. D’abord, on est toujours en train d’apprendre ce qu’est un mouvement, ce que c’est de participer à une démocratie autrement que par un bulletin de vote. Se pose ensuite la question de la mobilisation, comment ceux qui ne sont pas là aujourd’hui vont venir, que dire pour les convaincre. Est-ce qu’il faut se dire qu’on mène un combat contre la politique qui s’abat sur nous, ou plutôt une lutte de type syndical pour défendre notre secteur, nos métiers – les deux étant légitimes. Faut-il être précis sur ce qu’on veut obtenir, ou au contraire être très large… Quel que soit le cas de figure, il y a le sentiment que de toute façon, on n’arrivera à rien ; sauf qu’à mon avis, on gagne toujours en se mobilisant. En 2003, le secteur du spectacle était vraiment très attaqué au niveau de l’intermittence, on s’est dit qu’il fallait défendre ça, établir notre base sur ces revendications. Mais quand on a une base, on se crispe peut-être un peu dessus, et je crois que cette fois-ci notre base doit reposer sur ce rapprochement avec d’autres. Ce sont les mêmes problématiques qui concernent ce secteur qu’on pourrait appeler l’économie solidaire, le secteur non rentable ou le tiers secteur comme dirait le fisc. Défendre ce secteur est une chose fondamentale, centrale dans l’idée de la société qu’on veut aujourd’hui.Quel que soit le point de vue, les idées de lutte et de mobilisation sur le long terme restent primordiales. La coordination peut-elle résister en l’état à la démotivation et aux divergences d’opinions ?
Il y a toujours eu, dans cette lutte, la question de pourquoi continuer, de se dire à quoi bon. Même si le gouvernement ne lâchait rien, à mon sens, on l’emporterait toujours parce qu’on apprend la démocratie. Dans une AG, tout le monde dit un peu n’importe quoi, au début on a l’impression de perdre son temps, mais au bout de deux-trois AG, on se rend compte que les échanges deviennent de plus en plus constructifs, et donc ça veut dire que chaque individu grandit dans sa conscience politique, dans sa conscience collective. Ça, c’est déjà une victoire à chaque fois. Après, il y a toujours ce désespoir de se dire que ça ne sert à rien, d’autant que quand on doit faire quelque chose, on doit accepter de le faire avec son voisin, qui n’a pas la même idée que nous, voire pas du tout, qu’en plus on n’aime pas, mais à un moment donné, il faut qu’on travaille ensemble. Il faut prendre sur soi et se dire que le plus important, on le partage vraiment. On est unanimes, dans le spectacle, pour dire que développer la culture, même si ça coûte des sous, est prépondérant parce que ça développe des choses chez chaque humain qui sont fondamentales.J’ai eu le sentiment en assistant à la première AG qu’il y avait ce qu’on pourrait résumer par un clivage générationnel potentiellement risqué…
Un clivage je ne sais pas, des différences, oui. Ce dont tu parles, c’est une question que je me pose depuis que je suis arrivé à cette lutte en 2003, sur les cendres de ceux qui s’étaient battus en 1992, 1995 ou 1996. Quand on a mené cette lutte-là et que le Collectif Culture s’est créé, l’ancienne coordination s’est dissoute, les gens qui se battaient depuis des années ont très peu participé au mouvement. Ce qu’on s’est dit avec la quinzaine de membres toujours actifs du Collectif et avec les gens gravitant autour, c’est qu’il y a une nouvelle mobilisation, qui n’est pas de notre fait, mais de celui de nouvelles personnes qui sont souvent intermittentes depuis 2003, qui n’ont pas connu le combat et pour cause, ils n’étaient pas encore dans le métier. Ce que j’essaie de dire, c’est que c’est à nous de soutenir ce mouvement, avec notre expérience, et d’accepter qu’ils ne nous appartiennent pas. Même si on a cette expérience, que ce mouvement repart de zéro avec toutes les erreurs que doit faire chaque mouvement, et bien à nous d’être humbles et de l’aider à se concrétiser. Le mouvement en est encore à ses débuts et c’est toujours difficile. Personnellement, aux dernières AG, il y avait des choses sur lesquelles je n’étais vraiment pas d’accord, je me suis retenu en me disant que c’est ça un mouvement collectif. J’espère qu’il n’y a pas de clivage générationnel, mais plein de clivages. Parce que c’est ça de faire du collectif, accepter de mettre le mouchoir sur les différences et voir ce qu’on peut faire ensemble.Mais par exemple, je m’attendais à ce que plus de monde participe à l’action qui a été mené le samedi 31 janvier…
Il y avait une quarantaine de personnes, il y aurait pu en avoir plus mais je ne vais pas bloquer là-dessus. On était 30 à la dernière AG, donc il y en a qui se désespèrent… Mais je ne veux pas en rester là, je souhaite vraiment faire des actions avec d’autres gens. Je ne sais pas si on va gagner en étant 300 ou en étant peu à très bien travailler. Ce qui compte pour moi, c’est l’ambiance dans le mouvement. Si on reste positif, si on fait une AG où chacun apprécie le travail des autres, ça va. On est tout de même un tout petit rien du tout face à une énorme machine qui a été élu par le peuple. Qu’on soit 40 ou 100, l’important c’est le temps. On est dans un mouvement qui redémarre, je lui souhaite longue vie.Quels sont vos liens avec d’autres initiatives similaires au niveau national ?
Et bien on a par exemple une action secrète prévue avec les lyonnais et les savoyards dans les semaines qui viennent. Au niveau de la convergence des luttes, on essaie de penser national. On a une action qui est d’ores et déjà prévue, si ça tient, pour le 7 mars, sur laquelle il y a pour l’instant l’art et la culture, l’éducation populaire, et on espère bien fédérer les étudiants et enseignants, voire la santé et la justice. L’avantage qu’ont les coordinations par rapport aux syndicats, c’est qu’on peut faire naître une action comme celle-là et qu’en quelques temps elle devienne nationale. On n’attend pas les syndicats, on sait qu’au contraire on doit vraiment être leur poil-à-gratter, les considérer comme des monolithes et les forcer à bouger. Ils ont potentiellement une grande force, qu’il faut titiller. Ce sont des appareils parfois aussi lourds que les partis politiques, avec des enjeux différents des nôtres. La réappropriation de la démocratie serait un début de solution ?
Depuis des années, je pense que la conscience politique doit progresser, voir comment marche le vivre ensemble, le collectif, la démocratie. J’ai une idée de la démocratie qui me fait dire qu’on doit l’inventer, que ça ne restreint pas au vote et à la majorité. Il y a cet aspect, mais aussi beaucoup d’autres, comme les réunions populaires, qu’elles soient officielles ou non. Se rassembler est toujours juste. En démocratie, il faut que chacun s’intéresse, que chacun prenne son temps pour décider quelle société on veut. C’est pénible, c’est fastidieux, ça prend du temps, mais ça nous appartient.

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