Crème et châtiments

Terroriste pâtissier émérite, cauchemar des “pompeux cornichons“ en général et de BHL en particulier, artiste de l’agit-prop et anar farouche, Noël “l’entarteur“ Godin sera de passage à Grenoble ce mercredi à l’occasion de la diffusion d’un docu relatant ses récents faits d’arme. François Cau

La séquence est restée dans les annales de la télévision française, reprise dans la foulée de son tournage par un Pierre Desproges hilare et ravi qu’elle «révèle la vraie nature des cuistres». Novembre 1985 : Noël Godin, dans le costume de son alter ego terroriste crémier Georges Le Gloupier, vient d’entarter pour la première fois Bernard-Henri Lévy. Lequel réagit en lui balançant une droite qui met le plaisantin à terre, avant d’asséner une sentence qui restera l’une de ses plus pertinentes d’un point de vue philosophique : «Lève-toi vite ou je t’écrase la gueule à coup de talons !». Rien que pour ça, Noël Godin mériterait d’être béatifié de son vivant : en une action, il vient de démystifier le plus grand imposteur que les lettres françaises aient encore à supporter, de le faire chuter du piédestal sur lequel il s’était grassement installé, le tout en restant coûte que coûte dans la peau de son personnage. L’un des plus beaux happenings de sa carrière – la justice française ne considérait pas encore la tarte à la crème comme une arme, comme elle l’affirma avec autant de bêtise que d’aplomb lors du procès consécutif à la plainte de l’entarté Jean-Pierre Chevènement en 2002. Histoire(s) de cinéma
Avant de se faire connaître via ses attentats pâtissiers, Noël Godin commence par officier comme critique de cinéma. Eh ouais, le bonhomme est un cinéphile chevronné, expert incollable sur tout ce qui fut tourné avant 1960. Dans les très peu swinging sixties belges, il dispense ses services au mensuel œcuménique Les Amis du Film, à Ciné-Revue, Actuel, La Revue belge du cinéma, puis Grand Angle et Visions. En trublion précoce, et généralement dans l’ignorance de ses infortunés rédac’ chef, il signe surtout des portraits élogieux de réalisateurs fictifs (l’un de ses confrères l’eut très mauvaise quand il partit en quête d’une réalisatrice thaïlandaise aveugle encensée dans l’un de ses papiers), des critiques enthousiastes de films tout aussi fictifs. En 1969, il imagine une altercation entre le réalisateur imaginaire Georges Le Gloupier et Robert Bresson, laquelle se serait achevée par un jet de tarte à la crème du premier dans la face du second – dans le numéro suivant, Godin imagine que Bresson fut vengé de la même manière par Marguerite Duras. Hasard trop beau pour être vrai, Duras se rend en Belgique en décembre pour défendre son film Détruire, dit-elle. La tentation est trop forte : Noël Godin revêt pour la première les habits de Georges Le Gloupier et entarte une Marguerite toute interdite. Le même mois, un compère de Godin, Jean-Pierre Bouyxou, entarte à son tour Maurice Béjart. Les deux premières réussites d’une longue série. Un prophète
Ainsi naquit l’Internationale pâtissière, collectif activiste à géométrie variable, et avec elle le noble dessein de donner un semblant d’humilité à des “pompeux cornichons“ (l’un des cris de guerre des entarteurs, avec leur fameux «gloup-gloup») triés sur le volet, souvent à l’aide de complices inattendus, officiant parfois au sein des staffs des entartés... Mais ces méthodes ne sont vraiment pas du goût de tous, surtout en Belgique où Godin se retrouve conspué de toutes parts, accusé de porter atteinte au bon goût humoristique. Faut dire que ses autres activités ne contribuent pas à lisser son image : dans l’un de ses courts métrages, Grèves et Pets (1978), il empale le Roi Baudouin sur un sabre. Dans les films de son compatriote Jan Bucquoy (Camping Cosmos, La vie sexuelle des belges…), il se fait le chantre d’un mauvais goût anarchisant assumé jusqu’au bout des ongles. Dans son recueil Anthologie de la subversion carabinée (1988), d’une plume aussi alerte que savoureuse, il dresse un panorama élégiaque des mouvements de rébellion ayant secoué un siècle agonisant. Flanqué d’une image d’agitateur médiatico-complaisant, Noël Godin est en fait un cas rare d’activiste à l’intégrité radicale, envisageant la pratique artistique sous l’angle exclusif du coup de pied au cul destiné à tirer les masses de leur torpeur. En 1998, le message passe enfin avec l’entartage de Bill Gates, petit maître du monde dont Godin (et parmi ses complices, le regretté réalisateur de C’est arrivé près de chez vous, Rémy Belvaux) arrive à se jouer des services de sécurité : un acte de bravoure échevelé qui va jusqu’à le racheter aux yeux de son pays natal, et inspirer à travers le monde des émules de l’Internationale Pâtissière… Le film projeté à Antigone ce mercredi nous le présente aujourd’hui, la soixantaine gentiment entamée, toujours aussi ravi de se faire copieusement tabasser par les forces de police et autres agents de sécu, toujours prêt à prodiguer l’humilité par la chantilly. Une chose est sûre : il y a infiniment plus de valeur artistique dans l’hilarité d’un Godin fraîchement menotté que dans l’intégralité des pensums de BHL. Noël Godin
Mercredi 26 mai à 20h, à Antigone, rencontre et projection du documentaire Que qui peut puisse de Geoffroy Legrelle

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