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Songes d'une nuit d'hiver
Par Aurélien Martinez
Publié Dimanche 2 février 2014 - 6738 lectures
La Postérité des asticots
Le 102
ce spectacle n'est pas à l'affiche actuellement
Visages rougeauds, marqués, abîmés. Joufflus, mais mal en point. Les sans-abris ont des « gueules », des vraies. Sur elles s’impriment la fatigue, la lassitude et des blessures antérieures. Avec "La Postérité des asticots", film projeté au 102, la caméra d’Alexe Poukine accroche ces cicatrices muettes. Et leur rend leur histoire. Léa Ducre
Dans la nuit, deux yeux papillonnent. La couverture remontée jusqu’au nez, Joe n’arrive pas à dormir. Les lumières des enseignes se reflètent sur son visage. On lui lance un bonjour. Il répond. Insignifiant mais poli.
Il y a quelques années, la réalisatrice Alexe Poukine a appris que son oncle, Alain, est mort de cela : de la rue et de l’indifférence. Ébranlée par la nouvelle, elle décide de réaliser un documentaire sur lui et ces autres naufragés, échoués aux quatre coins de la ville. Un sujet escarpé qu’elle aborde par deux chemins. D’abord, elle interroge sa famille sur Alain. Puis elle suit ces hommes et femmes de la rue. Toute l’intelligence du film repose dans ce face à face. Intérieurs douillets contre couvertures usées, canapés contre trottoirs. Les questions d’un côté, les silences de l’autre.
Destins cabossés, au passé et au présent
Les regards, d’abord fuyants et bas, s’attardent peu à peu, se perdent dans le vide et dans les errances du passé. Puis la caméra apprivoise ces écorchés de la vie. Les yeux s’embuent, fixent, apostrophent. La réalisatrice a pris le temps. Trois ans pour recueillir trois histoires. La première est racontée au passé. Son personnage principal, Alain, n’est plus de ce monde. Bouleversée par cette mort anonyme, sa famille raconte, témoigne, tente de comprendre.
Les deux autres histoires sont celles de Joe et Bart. L’un a la trentaine, l’autre la cinquantaine. Bart lutte pour ne pas sombrer. Joe baisse les bras. Bart rechute. Joe le rattrape. Belle équipée dans la dérive. Inattendue, l’histoire d’amitié rend leur relief à ces invisibles.
Albums de famille, albums de l’avant
Du côté de la famille d’Alain, l’aveu d’incompréhension revient. Pour donner du sens à la destinée tragique, les photos du passé défilent. Celles d’avant la rue, le froid, les bonnets et les mitaines. Celles du fils, du frère, du père qui bronzait en vacances, riait en soirées, se mariait. Bon danseur, bon cuisinier. « Il était heureux » souffle un proche dans un chagrin mal réprimé. « Comment on en arrive là ? »
Au cours du film, les vivants répondront alors à la place du mort. « J’ai choisi la rue, argue Joe. C’était le paradis. » Aujourd’hui, ce n’est plus une question de choix et Joe ne veut plus se battre. « Pour moi, c’est terminé. »
Le parler est plein d’argot, avec des articulations approximatives et des accents d’ailleurs, mais le tout se comprend immédiatement. Des amorces d’explications nous parviennent alors. Des addictions de toute sorte d’abord. Puis un malaise, plus profond. « Je me suis vengé » laisse échapper Bart.
Questionnements essentiels
Le film ne nous épargne rien. Ni les morsures du froid sur un cadavre, ni la morgue, ni l’enterrement mené par un bénévole. Quoi de plus explicite qu’une oraison funèbre pleine d’inconnus pour donner à voir l’effroi de cet anonymat ? La réalisatrice réussit pourtant à plonger dans la misère sans sombrer dans le sinistre. Un exploit qui doit beaucoup à sa présence discrète. « Si je ne suis plus là, ça va manquer à qui ? » hasarde à un moment Joe, au bout du rouleau. « À moi » répond une jeune voix hors champ.
Le spectateur quitte le documentaire avec ses questions. Le « pourquoi » – pourquoi la rue, pourquoi baisser les bras – qui nous vient instantanément mêle dans sa réponse la misère, l’addiction et des blessures d’enfances. Le « comment » – comment s’en sortir, comment se relever – nous extorque un aveu d’impuissance. Alexe Poukine parvient ainsi à dépasser le problème économique. Indirectement, elle nous interpelle : Qui est-on quand on ne possède plus rien ? Qu’est-ce qui reste d’un homme quand il n’a plus ni travail, ni logement, ni famille ? Le dénuement des sans-abris porte alors des questionnements essentiels.
La Postérité des asticots, mardi 4 février à 20h30, au 102
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