Laurent Mauvignier : « On voyage pour raconter »

Laurent Mauvignier était à Grenoble mercredi 15 octobre pour présenter "Autour du monde", son neuvième roman. Dans ces quatorze récits de voyage ayant pour seul dénominateur commun le tsunami qui a frappé le Japon en 2011, l'écrivain exprime, comme à son habitude, les déchirements intérieurs de ses personnages. Et signe son roman le plus ambitieux. Rencontre. Propos recueillis par Alexis Orsini

Dans la librairie Le Square, vingt minutes avant l'arrivée de Laurent Mauvignier prévue à 18h30, l'espace aménagé pour la rencontre est déjà quasiment complet. Des couples plus ou moins âgés, des lecteurs et lectrices solitaires, un groupe d'habituées : le public est pour le moins hétérogène. Certains ont découvert le romancier à ses débuts, en 2000, lors de sa première visite à Grenoble pour la sortie d'Apprendre à finir, qui racontait – déjà – une déchirure, celle d'un couple qui tente de réapprendre à vivre ensemble pendant la convalescence du mari.

D'autres lecteurs avaient pu échanger avec Laurent Mauvignier lors de ses différents retours à Grenoble, devenus réguliers au fil des années et des parutions, comme pour la sortie en 2009 de Des hommes, formidable roman sur deux appelés de la guerre d'Algérie qui se voient rattrapés par leur passé, des décennies après. Certains, enfin, le rencontrent pour la première fois ce mercredi 15 octobre.

Tous partagent la même passion pour le style Mauvignier, pour la force de son écriture rythmique, basée sur des accélérations, des ralentissements, des non-dits et, surtout, des flux de pensées intérieures. L'écrivain donne toujours directement la parole à ses personnages, laissant libre cours à leurs pensées les plus intimes, leurs traumatismes, leurs désirs refoulés, qui s'avèrent parfois débordants.

«Les échos de l'événement déclencheur»

Comme dans ses précédents romans, Laurent Mauvignier utilise un événement bien réel comme point de départ de sa fiction : ici, le tsunami du 11 mars 2011 fait office de lien – ténu, mais bien réel – entre les quatorze destins de personnages éparpillés aux quatre coins de la planète. Des anonymes qui ne se rencontreront jamais mais qui vivent tous, à leur manière, une situation de crise personnelle ce jour-là, au moment où le Japon est durement frappé. Monsieur Arroyo, un Philippin employé d'hôtellerie à Dubaï, Fancy et Peter, un couple britannique en escapade à Rome, Giorgio et Ernesto, deux retraités italiens prêts (ou non) pour une escapade en Europe de l'Est...

À sa première prise de parole, après avoir été introduit par Nicolas Trigeassou, directeur de la librairie Le Square, Laurent Mauvignier tient d'abord à s'adresser à son public : « Merci d'être venus aussi nombreux, ça fait très plaisir. »

Très vite, il précise qu'il ne s'intéresse pas « tant à l'événement déclencheur » inspiré de la réalité qu'à « ses échos ». D'autant que la catastrophe de mars 2011 n'a pas été la source de son inspiration : « J'avais commencé le livre avant l'événement, avant le tsunami. Au départ, c'était un projet de pièce de théâtre, et j'avais entendu à la radio un fait divers, celui d'une femme qui avait tué son enfant dans un jardin public. Alors évidemment, quand vous cherchez l'inspiration pour le théâtre, quand vous entendez ça, Médée vient frapper à votre porte, c'est pas mal ! Mais en fait, c'est le jardin public qui m'a marqué. Je me suis dit : "Quand même, c'est bien ces lieux qui sont à la fois ouverts et fermés, individuels et collectifs, on croise plein de gens et en même temps pas de gens du tout." »

« L'unité du roman passe par l'écriture »

Cette idée « de lieu en mouvement » l'intéresse. Laurent Mauvignier l'approfondit peu après, lors d'un séjour à Rome, « immense jardin public ». Après une première visite à la chapelle Sixtine, en tant que touriste, il s'y rend à nouveau puis prend l'habitude d'y retourner régulièrement, pour observer le flux ininterrompu de visiteurs. Le romancier remplit ainsi son carnet de voyage de notes sur la vie pratique du touriste de passage à Rome. Il s'intéresse de près à ce « monde superficiel, vulgaire », à cette « banalité » qu'il souhaite confronter aux « idéaux » recherchés par le visiteur.

Laurent Mauvignier décide de créer plusieurs histoires, mais se trouve incapable de répondre à une question essentielle : « Où est le roman ? » La première version du projet débouche ainsi sur quinze histoires (il en supprimera une pour le manuscrit final), quinze « courts » romans qui font tout de même plus de 1500 pages. Il en arrive ensuite à une série de nouvelles, un format qui ne le satisfait pas non plus. Pendant huit mois, l'écrivain travaille donc sur la nature de l'ouvrage, en soignant particulièrement les contrastes : enchaîner, après une histoire longue, sur un récit court, passer d'un pays enneigé à un pays chaud... Laurent Mauvignier est ainsi convaincu que « l'unité d'Autour du monde passe par l'écriture : c'est ce qui fait que c'est un roman et pas une suite de nouvelles ».

Descartes postal

L'autre difficulté majeure consiste à sortir du cadre occidental dans lequel il a toujours vécu pour se projeter dans la tête de personnages venus d'Inde, du Mexique ou du Japon. « Je suis très intéressé par ce saut hors de soi, par le fait de se mettre dans la tête de quelqu'un d'autre. C'est très dur de penser une histoire sans l'Europe ou l'Occident comme centre du monde. » Cet effort de réflexion l'amène à casser la structure classique du roman, qui nécessite un personnage principal et des seconds rôles. La « notion de début et de fin » disparaît aussi, puisque chaque histoire est interrompue par la suivante et n'a jamais droit à une véritable conclusion.

Le romancier choisit en revanche d'introduire chaque protagoniste par une photographie de voyage : « Les photos sont un moyen de remplacer les chapitres, que j'ai supprimés car ils réintroduisaient des frontières. Elles font office de ponctuation. » Mauvignier, qui avait depuis longtemps envie d'utiliser des images dans l'un de ses livres, franchit ainsi le pas avec Autour du monde en demandant à son entourage de lui envoyer des photographies touristiques.

Après avoir lu un extrait – le reflux du tsunami – à son public, en donnant forme à son écriture rythmique, basée sur le décalage, Laurent Mauvignier se laisse emporter dans son élan confessionnel (« je raconte un peu ma vie là »), encouragé par l'accueil réceptif des lecteurs grenoblois (« allez-y, la séance est gratuite ! »), en expliquant avoir initialement pensé à utiliser des cartes postales en guise d'images avant que son esprit « parano » l'en dissuade : « Je viens de Touraine, la ville de Descartes... Descartes, des cartes postales... J'avais peur qu'on fasse le lien et qu'on me le ressorte, alors je me suis abstenu... »

« Aller vers l'autre, c'est aller vers soi, pas vers l'autre »

Si les quatorze voyages successifs donnent envie de plier bagage et de parcourir le monde, Mauvignier porte tout de même un regard critique sur la mondalisation. « C'est quelque chose de très ironique, on parle toujours de la mondialisation comme d'un mouvement génial dans les deux sens, du fait que tout le monde puisse voyager d'un pays à un autre. En réalité, ce sont en grande majorité les riches qui vont s'amuser chez les pauvres. Le sens inverse n'existe pas. »

Le romancier ne voit pas non plus le voyage comme un moyen de rencontre avec l'autre : « On n'a pas besoin de voyager pour ça, si on veut vraiment rencontrer l'autre, il suffit de sortir de chez soi, d'aller voir son voisin ou d'entrer dans un bistrot ! » Selon Mauvignier, dans une civilisation occidentale « entièrement tournée vers le récit », le voyage représente uniquement une envie de raconter : « Aller vers l'autre c'est aller vers soi uniquement, pas vers l'autre. »

Mauvignier s'attache ensuite avec délectation – et second degré – à décrire la routine du touriste : « Pour la plupart des touristes, il ne se passe pas grand-chose en voyage, vous allez poser vos affaires à l'hôtel, vous allez au restaurant, vous allez visiter quelques trucs, vous êtes déjà fatigué, le soir on se douche et le lendemain on repart. Ca dure comme ça, quinze jours, trois semaines et puis après vous racontez la même chose pendant quinze jours, trois semaines. »

Finalement, dans Autour du monde, Laurent Mauvignier cherche plus que jamais à répondre à une interrogation qui le travaille depuis plus « plus de quinze ans » : « Est-ce que ça existe, la sincérité? » Si l'écrivain est voué à s'interroger à nouveau sur cette question dans ses prochains romans, les lecteurs venus le rencontrer ont déjà leur réponse.


Pour aller plus loin :

Les premières pages d'Autour du monde sur le site des Éditions de Minuit

Le calendrier des rencontres de la librairie Le Square

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