Germinal, un spectacle fertile

Germinal correspond au septième mois du calendrier révolutionnaire. Il illustrera par la suite le titre du roman d’Émile Zola. Ce titre sera sûrement le seul lien qu'Antoine Defoort et Halory Goerger entretiendront avec l’œuvre, sinon aucun, ils s'en garderont bien. C'est une page d'une époque, un mot, une saison, l'idée d'une Révolution.

Antoine Defoort va perpétuer l'idée d'un précédent spectacle (Cheval), ou plutôt d'une précédente expérimentation, qui vise à transformer la scène en gigantesque « système » sonore et visuelle. Ce metteur en scène, comédien, pédagogue, semble toujours autant obnubilé par la même interrogation; donner à chaque chose sa propre valeur, sa valeur de chose, la faire devenir spectacle par le simple fait qu'elle existe.( Le monde n'est-il pas un théâtre si on en croit notre vertueux Shakespeare ?) Comparer des objets à leur son, à leur texture, les savoirs mous ou savoureux, c'est autant d’exercices nécessaires à toutes bonnes compréhensions du monde qui nous entoure.

Dans chaque micro-contexte il y a une image, et dans chaque image il y a un sens. La prise de parole résonne avec démocratie tandis que la boîte à lumière fait figure d'outil d'affirmation sociale. Ainsi nous regardons sagement ce plateau qui nous semble être à quelques centimètres de nous seulement, tel de curieux savants, et nous cherchons les résultats de notre machiavélique expérience. L’Humanité est regardée et nous regarde à la fois. Ces quatre êtres humains en face de nous découvrent comment nommer les choses, les construire, les détruire et puis tout recommencer.

Le spectateur est scientifique, les comédiens sont sujet, et la scène n'est que lieu d’expérimentation. On redécouvre avec plaisir une essence théâtrale proche de celle d'Arthaud, de Brecht ou de Mnouckine. Un véritable théâtre de l’expérience humaine, pour parler modestement.

Nos personnages s'enfoncent ainsi dans leur monde virtuel, changent d'outils, passent de la pioche à l'interphone, pour finalement plonger dans le marais floconneux des programmes Windows. Il suffit cependant qu'un vendeur mal intentionné leur parle d'ajouter l'argent à leur programme cyber-matriciel pour que, pris de peur, ils raccrochent, à l’unanimité, pour une fois.

Briseurs d'illusions dramatiques donc, Defoort, Goerger, et leur équipe s'engagent à rompre à nouveau avec l'ancestrale idée d'identification au théâtre. Ils nous dévoilent savamment les ficelles de leur univers et transforment le plateau en un immense champ de bataille où s'affrontent la réalité, la nôtre, et puis celle plus globale de notre monde contemporain. Ainsi Defoort continuera sa leçon, comme tout bon professeur qui s'assume, et l’approfondira en rajoutant cette fois une troisième constante ; la lumière. Elle est immanquablement liée au regard, à la problématique de voir, et à celle d'être vu.

La pièce commence alors que les lumières hésitent entre plonger le spectateur dans le noir et continuer à l'éclairer, à l’interroger. Ensuite c'est quatre corps qui se réveillent, évoluent, interagissent. On a du mal à savoir jusqu'à quel point ils maîtrisent leur environnement. Ils semblent pouvoir tout faire et ne rien faire à la fois. Enfin, nous sommes au théâtre ; c'est justement l'endroit idéal pour ce genre de questionnements, alors c'est très pertinent de montrer pour une fois des comédiens avec un tel libre arbitre.

Germinal c'est un peu comme une nouvelle naissance du monde, rien que ça. On part de rien, avec presque tout, et on fait quelque chose, et puis tant pis si ça donne n'importe quoi puisque même le n'importe quoi n'est qu'une question de point de vue. On passe alors son temps à comprendre des faits anodins et sans importance comme le sens de la vie. Les quatre comédiens ne cesseront de creuser leur environnement, à coup de pioches parfois, redonnant la saveur à quelques infimes plaisirs de notre quotidien, comme mettre la tête à l'envers pendant quelques minutes, et puis parler, pour ne finalement ne rien dire. La technique aussi est actrice, elle les manipule, les sert, les pervertit.

Par ailleurs, il peut-être est sans doute pertinent de raccorder ce spectacle à la pièce de Maeterlinck ; Les aveugles, en regardant ce spectacle. Non pas que l'on soit tenté de la voir les yeux fermés (on en manquerait certainement une partie considérable) mais rapidement les quatre protagonistes nous apparaissent comme semblables à ces infirmes qui n'ont du réel qu'un infime retour sensoriel. Leur guide est parti, le nihilisme a pris sa place, ils ne peuvent que rester là où ils ont été amenés, étrangers à tout, à leur environnement et à leur condition, passifs presque. Avec Germinal c'est non seulement un groupuscule d'êtres qui se retrouvent à se redécouvrir eux-même, à retrouver la vue, mais c'est aussi le théâtre lui même qui jaillit de la scène, la rendant fertile, organique, ancrée dans le présent, et pourtant si intemporelle.

Ce nouveau spectacle façon Defoort nous tient en haleine tout du long. Il retrace notre vie personnelle, de manière accessible, sans besoin d'étaler une catharsis langoureuse. Absurde comme l'existence et fatale comme la vie, il lie en un seul long fil la diversité des mots et la naissance du monde, et semble nous rappeler par cette mise en scène que le monde est un système modulable, et que c'est à nous de se l’approprier afin d'en extraire notre singularité et notre élan.

Le spectacle se termine par un chant à plusieurs au rythme des mots qui délimitaient le monde d'hier, on entend alors résonner distinctement au loin une discrète mélodie, il y a comme un air de Révolution.

Vu à l'Hexagone de Meylan le 11 avril

Weiss Eloi

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