Compte rendu de la lecture du Jeudi 15 mai au théâtre 145 avec Bienveillance.

L'ouverture du Festival Regards Croisés s'est opérée sous les mots de Fanny Britt et de son texte Bienveillance. Retour sur une première lecture sensible rythmée par une langue québécoise forte et sans détours.

« Gilles Jean. Narrateur. Avocat séparé de lui-même, 39 ans ».

Thierry Blanc lève la main suivi de près par les autres protagonistes. Ils seront quatre au total, un personnage jouant double, deux personnages en un seul. Les comédiens endossent discrètement chaque figure et le récit peut s'envoler, direction quelque-part, peut-être de l'autre côté de l'Atlantique.

Une lecture à la table c'est toujours particulier, c'est toujours du théâtre, mais immobile et intime. Le visage regarde le texte, les spectateurs regardent le visage, le texte fait lien et « au delà il y a l'agitation ». Étrangement le style de Fanny Britt correspond bien à cette forme de représentation fuyante et sans mouvement.

Le théâtre Québécois semble d'avantage se tourner vers cette forme de rétrospection intérieur qui sur scène instaure un moment de pause. Les personnages ne sont jamais complètement dans l'action, ils interrompent fréquemment leurs réflexions et, presque face public, se livrent à un approximatif constat d'eux-mêmes. Pouvoir interrompre le temps, parler au présent, est une caractéristique majeure de ce qui fait ce théâtre aujourd'hui.
Cette forme, on la retrouve dans d'autres textes québécois comme ceux de Sarah Berthiaume (Yukonstyle), où du côté de Peter Handke (Par les villages), coté Allemagne, pour n'en citer que quelques-uns. Alors ici autour de la table on écoute aussi des voix parler, des corps assis, et l'action n'est plus que dans le verbe. Comme on parle de verbe et d'Allemagne on ne pourrait éviter d'évoquer l'essence brechtienne qui s'affirme au fil du texte. Une certaine distanciation s'opère. Ce n'est pas seulement dû au dispositif scénique inexistant, car sous forme de lecture, c'est aussi par la langue.

« au delà il y a l'agitation »

Le vocabulaire parfois si différent du notre demande au comédien français une diction, une intonation et un formulation somme toute différente de celle employé familièrement par les Québécois.

Alors, hier soir, pendant près d'une heure a eu lieu cette mise à distance. Les visages jonglaient parmi les récitants et assistaient à ce spectacle statique en se gardant bien d'une trop forte empathie. Les personnages rient parfois mais jamais ne se touchent, tout comme le public qui jamais ne s'identifie complètement. Le récit envoûtant d'un avocat corrompu percute sans fournir aucune réponse. Sa vie, comme la nôtre, n'est qu'un amas de compromis. Des mensonges que l'on s'avoue timidement à soi même, lucidement.

« Les chaussures en peau de crocodile » qui nous habillent ne perdrons jamais leurs écailles ni leurs éclats. Elles ne cesseront de nous chausser. Le personnage de Bruno Green les remarque à juste titre.

Nous terminerons en paraphrasant Laura Tirandaz, qui avant la lecture nous lisait si bien une chronique éclatante sur théâtre et réalité. Dénonçant les images qui nous entourent comme responsables d'un inéluctable « fatalisme sous couvert de réalisme », elle a parfaitement introduit la question inhérente au théâtre de Fanny Britt, à savoir : comment le réalisme représente, dénonce et annonce une remise en question profonde de ce qui nous semble inébranlable ?

Eloi Weiss

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