Compte rendu de la lecture du Samedi 17 mai au Théâtre 145 avec La Gorge de Žanina Mirčevska.

Un texte difficile à digérer qui transforme la grande table jaune du Théâtre 145 en un effroyable buffet. Au menu soif de pouvoir, appétit des grandeurs, faim insatiable d'un monde déjà trop ravagé, le tout servit sur une fable gargantuesque.

Neufs comédiens s'attablent. Au delà d'une simple bouteille d'eau entreposée non loin d'eux il n'y a rien qui semble pouvoir les rassasier. Ils attendent. Aucun couvert ne traîne et pourtant ils semblent affamés, prêts à manger avec leurs mains. C'est bientôt ce qu'ils feront, avec leur corps tout entier. Ils mâcheront des mots fibreux, venus de Macédoine, et les mastiqueront jusqu'à plus faim. Ces personnages hybrides, mi-hommes mi-bêtes, ces entités expressives, n'auront de cesse de rugir. Assis, attablés, la tête penchée sur un texte qui fait office d'assiette, ils semblent dans la meilleure position pour enfin confesser leur plus grand péché et leur plus grand instinct : manger pour vivre, manger pour survivre, et manger pour manger...

C'est là que ce texte, qui semblait parfois naïf, presque enfantin, malgré ses soubresauts terrifiants, est ce soir plus dur à entendre. Ce conte, dont même l'enjeu dramatique semble avoir été dévoré, est surprenant par sa structure monologuée et en devient presque indigeste. Les dialogues entre les personnages sont fuyants et finalement assez rares. Ceux-ci se livrent sans cesse à un constat intérieur, dressent un menu de leurs envies et se parlent en mangeant.

Besoin vital

A entendre c'est un peu plus consistant qu'à lire et comme c'est exactement la thématique de la pièce cela se comprend. La faim touche aussi bien la nécessité de consommer des choses que des mots, de lire à haute voix plutôt que pour soi, de provoquer l’écœurement plus que de satisfaire. Les comédiens paraissent digérer, penauds, en attendant leur tour de parole. Mais quand il s'agit d'incarner leurs rôles les voilà qui s'animent, pris d'un besoin vital. Ils s'élancent avec frénésie dans un jeu guttural et gourmand et on est captivé par chacune de leurs performances. La surabondance est à l'image du nombre de personnages (et des pancartes qui indiquent leurs noms, avec lequelles ils se perdront parfois).

Hélène Châtelain, habitée par une poésie magnifique animant ses yeux gris, nous disait juste avant la lecture : « ...les espagnols se curaient les dents afin de donner l'impression qu'ils mangeaient de la viande... ». De la même manière, ce soir, le texte à donné l'illusion d'une vérité, peut-être de celle qu'on attend du théâtre, d'être cette vérité. Si son but était de rendre compte d'une démesure, il a su toucher juste. L'homme qui a mangé son nom a aussi mangé notre démagogie. Nous n'avons plus faim mais nous mangeront demain. Pas de réponse, pas de solution, seule la chanson des pleurotes qui reprend. Dans notre gorge persiste un arrière-goût amer, un goût fatal de réalité.

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