Les délices de Tokyo, Naomi Kawase

Avoir la chance de vivre en vrai des heures japonaises. Revenue en France depuis une semaine, je rentre dans mes habits lyonnais et emprunte la route du Comoedia.

Comme une évidence et un hasard choisi, je me décide à aller voir Les délices de Tokyo, film de Naomi Kawase et très largement inspiré du livre éponyme (dans sa traduction française) de Durian Sukegawa.

J'ose le dire, ce film est émouvant, rond, chaud et pur comme la pâtisserie qui est au cœur de l'intrigue: le dorayaki. Madeleine. Celle qui a inspirée Proust revient ici et me hante sous la forme de deux pancakes dorés enfermant une couche de an – pâte d'haricot rouges confits. Que ceux qui n'aiment pas le sucré ne se sentent pas délaissés par ce film – au contraire, vous en êtes pratiquement le sujet, mais je laisse volontiers libres de quitter ces lignes ceux qui regardent ces nouvelles émissions de cuisine-téléréalité en oubliant que la cuisine est d'abord affaire de gourmandise et de vie.

Quand Proust écrit ce très célèbre passage littéraire de la rencontre entre la madeleine et la tasse de thé dans un vieux salon guindé, cela provoque en lui des visions aussi terribles et brusques que celles de son enfance et des dimanches à l'église lorsqu'il accompagnait sa famille et rêvait de la vie des autres.

Le dernier film de Naomi Kawase et les dorayakis m'ont procuré la même sensation; les plans du film, la rareté des dialogues, l'histoire d'une exclusion sociale et de retrouvailles autour d'une si simple pâtisserie, le triptyque des personnages et l'odeur des images, tout cela mélangé a rappelé à ma mémoire combien le Japon est magnifique et ambivalent.

Double, le film est à l'image d'un Japon pur, riche et incompréhensible. Lorsque Tokue, vieille dame presque octogénaire frappe à la vitre de Sentarô, et se propose comme aide en cuisine, Sentarô est loin de s'imaginer qu'il va, non pas se mettre à vivre, mais réapprendre à vivre et à sentir le goût des choses. La mollesse des dorayakis et leur saveur deviennent finalement une promesse de bonheur et se détachent de leur goût amer de contraintes. Mixage entre le Japon "américanisé de ces nouveaux riches à chiens et à chewing-gums" et le Japon des dorayakis et des sakuras, incorporation du sucré et du salé, le film est plus qu'un film de cuisine. Bien plus.

C'est le film qui prouve que tout est question de point de vue, d'angle. C'est le film qui vous reconnecte quand vous en sortez. Dans ce genre de film, tout est fait pour que vous vous sentiez flotter dans la salle, on vous prend par la main, doucement, et d'un coup, plus rien de votre corps n'est à vous. Il faut attendre la fin du générique pour sortir de la salle, autrement, vous sortiriez du cinéma en oubliant une part de vous.

Il vous reste à prendre votre vieille bicyclette, à serrer votre écharpe autour de votre cou et à espérer que le retour à la vie ne sera pas trop brut.

Et, mangez des dorayakis!

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