ANSELM KIEFER, Beaubourg, Paris jusqu'au 18 avril

Autant la rétrospective Gérard Fromanger est colorée et ludique, autant l’exposition consacrée à Anselm Kiefer est sombre et exigeante. Mais toutes deux sont fortement engagées et politiques : celle de Fromanger sur le plan social, celle d’Anselm Kiefer sur un plan historique, réfléchissant à l’identité allemande et à la période du nazisme.

A l’origine, j’avais prévu d’aller à Beaubourg pour la rétrospective Gérard Fromanger. Mais une fois le billet en main et ayant bien trois heures devant moi, j’ai évidemment décidé de profiter de la seconde exposition en cours, ne connaissant d’ailleurs pas du tout ce peintre, auquel Beaubourg consacrait la quasi totalité de son dernier étage !

Autant le savoir avant de franchir le seuil : l’espace consacré à Anselm Kiefer est imposant et le contenu est d’une richesse impressionnante, dans le fond et dans la forme. Ce qui veut dire qu’il faut prévoir de lui consacrer le temps nécessaire pour parcourir les œuvres, comprendre le contexte de leur réalisation et apprécier à sa juste valeur ce travail phénoménal qui fouille l’histoire, la philosophie et la religion juive, le tout sous l’éclairage de l’identité allemande. Il faut d’ailleurs absolument prendre l’audioguide ou télécharger l’application pour Smartphone « Centre Georges Pompidou ». Ils fournissent les clés pour entrer dans l’univers de cet artisteépoustouflant.

S’incarner dans l’histoire

L’exposition commence par ses premières œuvres, et les plus provocantes, puisqu’encore étudiant, il se fait photographier dans différents paysages, faisant le salut nazi, vêtu de l’uniforme de la Werhmacht de son père. Sa volonté en fait est d’appréhender l’histoire dans son propre corps, comme une sorte de performance qu’il retranscrit ensuite en peinture. Cela lui permet de susciter le débat à une époque, le début des années soixante-dix, où le sujet est encore peu discuté en Allemagne.

Dans ces deux premières salles il y a également une série d’œuvres qui évoquent la dévastation des paysages européens durant la seconde guerre mondiale, en particulier sous forme d’immenses livres brûlés, comme une évocation de la culture qui aurait été anéantie.

La fabrication de livres est un axe important de son travail. Ce sont des livres uniques constitués de nombreux matériaux, papier, carton, photo, plâtre, bois, craie, cendre, plomb, etc. qu’il consacre à un thème ou à une personnalité, comme « Pour Céline, Voyage au bout de la nuit ».

Les mythes fondateurs, pervertis par le nazisme

Dans deux salles qui se succèdent, dont une dédiée à quatre peintures monumentales qui prennent appui sur son atelier des années 70, il illustre des mythes, des éléments de la culture germanique ou des personnages, qui ont été repris et pervertis par l’idéologie nazie, pour en faire des figures de la force et du nationalisme. Une manière de rendre à leur signification originelle des symboles qui ont été chargés par l’histoire récente et qui n’étaient plus vus que par ce prisme.

Grandeur et décadence

Le national-socialisme avait le goût du monumental, en particulier dans l’architecture, se rêvant comme des bâtisseurs léguant pour les siècles à venir les vestiges d’une civilisation grandiose, au même titre que les grecs ou les romains. Il les peint sous forme de ruines, utilisant des matériaux comme la paille, image de fragilité et ne résistant pas au temps qui passe.

Cabinet de curiosités

Comme une pause ou une respiration, au milieu de ce parcours historique, une salle abrite une trentaine de vitrines, renfermant des compositions d’Anselm Kiefer, faites de sable, de métal, de bois, d’os, de cendre, de végétaux séchés, … Elles reprennent l’ensemble des thématiques qu’il traite dans ses tableaux ou ses livres : mythes et récits historiques, ésotérisme, religion, les frontières de l’Allemagne, … Tous ces matériaux ont généralement été amassés par l’artiste au cours de ces voyages puis ont été classés et répertoriés dans ces immenses ateliers, à Barjac dans le Gard, prêts à resservir et à intégrer les œuvres en cours de réalisation. Il le dit lui même dans un commentaire : les sous-sols de cette ancienne filature sont un peu un cerveau, une mémoire dans laquelle il vient régulièrement piocher au fil de son inspiration.

Poésie et mystique juive

A partir des années quatre-vingt, Anselm Kiefer se consacrent à deux thèmes et qui parfois se croisent : la poésie allemande et la Kabbale, tradition ésotérique du judaïsme. En particulier, le tableau monumental « Pour Paul Celan : Fleur de cendre », qu’il dédie à un de ses poètes préférés d’après-guerre, Paul Celan. Rescapé des camps, où ses deux parents sont morts, sa poésie est fortement inspirée par cette tragédie. Anselm Kiefer illustre à travers les livres brûlés plantés dans le tableau – en référence à un penseur juif du 18ème siècle – et la couleur de cendre du paysage, l’un des thèmes clés du poète, l’Holocauste. Le titre est une référence à de nombreux poèmes de Paul Celan qui évoquent les cendres. ultime mémoire de la Shoah. Inutile de dire que l’on reste figé, comme happé par la double profondeur du tableau : sa signification bien sûr et les lignes de fuites qui nous entraîne vers un horizon lointain.

Du noir à la couleur

C’est le nom donnée à l’avant dernière salle de l’exposition, tant le contraste est fort entre toutes les œuvres aux teintes sombres au milieu desquelles le visiteur a circulé jusque là et l’explosion de couleurs des tableaux qui y sont exposés. L’un deux illustre le poème de Rimbaud « Le dormeur du val », comme si la nature, la flore reprenait toujours le dessus, après tant d’heures obscures, mais toujours fragiles.

Madame de Staël

Pourquoi vient-elle conclure cette rétrospective avec une installation gigantesque, mêlant peinture et objets de récupération disposés sur le parquet couvert d’une épaisse couche de sable, comme une plage ? Parce qu’elle a contribué au début du XIXème siècle à populariser en France la culture germanique, qui a ensuite influencé le romantisme français. Mais Anselm Kiefer entrechoque les époques en installant au milieu de l’étendue sableuse un lit en ferraille au nom d’Ulrike Meinhof, questionnant l’histoire contemporaine comme héritière d’un certain romantisme.

Un artiste bien vivant

Anselm Kiefer a 71 ans et vit maintenant dans la région parisienne après avoir résidé une dizaine d’années à Barjac dans le Gard. Les quelques vidéos du site Internet du Centre Georges Pompidou, où il parle de son oeuvre, donne vraiment envie d’aller visiter ce lieu de création étonnant, et à la mesure de ses réalisations. Il parle un français parfait et les éclairages qu’il donne dans l’application pour Smartphone sont savoureux, parfois teinté d’humour, ce qui contraste quelque peu avec la tonalité globale de son oeuvre !

La rétrospective Anselm Kiefer est un choc de longue durée, qui vous reste en tête et dans l’estomac.

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