"A demis coeurs vaillants presque rien d'impossible", ou quand les Idiots prennent la Connerie par les cornes

Partir en guerre contre la Connerie avec des épées en plastique : c’est le programme d’"A demis cœurs vaillants presque rien d’impossible", la dernière création du jeune collectif théâtral grenoblois Le Festin des Idiots. Tom Porcher-Guinet, auteur et metteur en scène, nous livre ici un conte philosophique jubilatoire, porté par des comédiens époustouflants.

Sauveur en slip

Que faire face à la haine, la violence, la bêtise et l’injustice ? Peut-on/faut-il seulement faire quelque chose ? Tom Porcher-Guinet, pas froid aux yeux, s’attèle à ces questions dans un spectacle-fleuve qui tient à la fois du voyage initiatique et du récit d’apprentissage. Comme dans sa précédente création Un peu d’optimisme, bordel ! en 2013, le schéma narratif du conte joue un rôle essentiel. Héros, quête, adjuvants, opposants, péripéties et résolution : tout est en place pour tenir le rythme sur les trois heures que dure le spectacle, sans jamais perdre les spectateurs.

A demis cœurs vaillants... c’est l’histoire d’un prince (Pierre Laloge) qui veut changer le monde. Avec sa gueule d’ange, son slip blanc et ses faux airs de Tintin, il décide d’appliquer « la technique du saumon » : remonter à la source du Mal pour en identifier les racines. Dans ce projet, il a un adversaire de taille, la « Connerie humaine », une allégorie qui prend la forme d’un énorme taureau en costume à carreaux et canne à pommeau (Fantin Curtet). La confrontation entre le Prince et la Connerie nous vaut une scène d’ouverture d’anthologie, dont il faut laisser la primeur aux futurs spectateurs... Retenons simplement ceci : la Connerie laisse un sursis au Prince avant l’affrontement final, lui permettant ainsi d’accomplir son périple.

Mais on ne sauve pas le monde tout seul. Au gré de son voyage, le Prince rassemble autour de lui des personnages tous plus absurdes et attachants les uns que les autres. Chacun représente une attitude face au monde : il y a Ourlibourli (Lisa Robert), l’elfe désespérément immortel et farouchement optimiste, Doc' (Colin Melquiond), un médecin qui a préféré s’isoler dans le désert, constatant qu’on ne pouvait pas soigner le Mal avec un ibuprofène, Bertrand (Aurélien Villard), qui traîne la misère du monde comme un boulet, Ghislaine, la Sirène schizophrène (Chloé Giraud), La Plus Belle des Princesses (Myrtille Borel), amoureuse folle du Prince et d’elle-même, et Mimi (Marina Bincoletto), le clown blanc maladivement timide qui saura néanmoins passer à l’action au moment décisif.

Le Bien, le Mal, et l’Entre-les-Deux jubilatoire du Festin des Idiots

Qu’A demis cœurs vaillants presque rien d'impossible soit un spectacle réussi tient du miracle. En s’emparant d’un thème aussi rebattu que la confrontation entre le Bien et le Mal, Tom Porcher-Guinet a pris des risques. Difficile de ne pas verser dans la naïveté, les fadaises, les leçons de morale. Mais ici, rien de tout cela. Les répliques fusent, drôles, émouvantes, absurdes et profondes. L’humour est omniprésent mais ne sert pas de cache-misère aux idées. Face à la morosité ambiante, le Festin des Idiots a choisi son camp, celui de l’optimisme tendance idéaliste, de la loufoquerie radicale, de l’Idiotie comme art de vivre, du théâtre en majesté.

Et de fait, c’est du beau théâtre qui nous est donné à voir. Les costumes, élaborés dans les ateliers du Théâtre municipal de Grenoble, sont remarquables. Les décors sont distillés avec poésie : une lune qui s’éclaire au plafond, des fleurs qui tombent des cintres, un caillou étonnement joli… On pense aux Naufragés du fol espoir d’Ariane Mnouchkine et aux œillets de Pina Bausch.

Enfin, on ne pourrait terminer cet article sans tirer un immense coup de chapeau aux acteurs. Leurs personnages, tous plus délirants les uns que les autres, ont pourtant quelque chose d’évident. On est tout de suite avec eux, pour eux. Même leurs hystéries, leurs névroses et leurs folies sont adorables. L’énergie des comédiens, parfaitement répartie entre exubérance comique et maîtrise du rythme, ne se dément jamais.

La Connerie est au Festin des Idiots ce que la Bêtise est à Flaubert : une infinie source d’indignation et d’inspiration. Mais nos Idiots sont moins désabusés que le bon vieux Gustave. Chez eux l’optimisme est un sport de combat, et leur dernière création un superbe uppercut.

A demis cœurs vaillants presque rien d’impossible – Du 26 au 30 avril au Théâtre 145 à Grenoble. Une création du collectif Le Festin des Idiots. Texte écrit et mis en scène par Tom Porcher, avec Marina Bincoletto, Myrtille Borel, Fantin Curtet, Chloé Giraud, Pierre Laloge, Colin Melquiond, Lisa Robert, Aurélien Villard.

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