FREE TO RUN de Pierre Morath

Liberté, Egalité, Course à pied !

J’ai décidé d’aller voir ce documentaire après l’interview à la radio de son réalisateur Pierre Morath, où il rappelait qu’il y a 40 ans courir hors des stades et des épreuves d’athlétisme organisées par les fédérations avait été une lutte, et que pour les femmes, la lutte consistait encore plus fondamentalement à avoir le droit de courir !

Evidemment lorsque que l’on voit aujourd’hui les dizaines de milliers de personnes qui participent à des marathons, lorsque que l’on croise en ville, en forêt, à la montagne toutes ces personnes qui suent en trottinant, on écarquille les oreilles en écoutant Pierre Morath raconter la course à pied de cette époque comme une lutte féministe et pour la liberté.

Retour au début des années 1960 à New York. Non pas à Central Park comme on pourrait l’imaginer aujourd’hui où les familles se promènent tranquillement et les joggeurs viennent s’aérer. A l’époque Central Park est un coupe-gorge et l’aventure démarre … dans le Bronx, quartier pourtant encore plus dangereux, où quelques énergumènes décident de régulièrement courir et même d’organiser entre eux un marathon, uniquement pour le plaisir de parcourir les 42 km mythiques hors de toute structure. Ils sont considérés comme des marginaux, et parfois, en short et torse nu à cause de la chaleur, comme des pervers, à la limite de l’arrestation par les forces de l’ordre !

Une lutte oubliée pour l’égalité

En parallèle, on assiste à un véritable psychodrame en 1967 au marathon de Boston, organisé lui par les instances de l’athlétisme mais exclusivement réservé aux hommes. En effet les femmes à l’époque n’ont pas le droit de courir plus de 800 m dans les compétitions officielles, et il y a débat sur la dangerosité pour elles de s’adonner à cette pratique sportive : ne risquent-elles pas de se décrocher l’utérus ? Ne vont-elles pas voir des poils poussés sur leur poitrine ? Finalement nous ne sommes pas sortis de l’obscurantisme il y a si longtemps !

Inscrite en indiquant seulement les initiales de ses prénoms et emmitouflée dans un survêtement gris et sans forme, Kathrine Switzer prend le départ de la course, en toute discrétion aux côtés de son ami et de son entraîneur. Soudain après quelques kilomètres, questionné par un journaliste qui s’étonnait de voir une femme, le directeur de la course se rue sur elle comme un forcené pour lui arracher son dossard et l’empêcher de continuer en la couvrant d’insultes. Le compagnon de Kathrine Switzer va alors l’éjecter d’un vigoureux coup d’épaule, et elle pourra terminer au vu et au su de tous, véritable pionnière d’un aspect oublié de la lutte pour l’égalité.

Il faudra quand même attendre 1972 pour que les femmes soient officiellement autorisées à concourir et 1984 pour que le marathon féminin soit inscrit au programme des Jeux Olympiques. L’interview de Joan Benoit à son arrivée victorieuse est d’ailleurs très émouvante, car au lieu d’exprimer sa propre satisfaction d’avoir gagné, elle dit combien l’existence même de cette épreuve est une victoire pour toutes, et la démonstration éclatante qu’il ne doit pas y avoir de domaines sportifs réservés aux hommes. L’arrivée dramatique quelques minutes plus tard de la suissesse Gabriela Andersen-Schiess ne gâchera pas la fête, malgré les craintes de Kathrine Switzer, qui commentait la course pour la télévision américaine : « J’ai compris que notre lutte avait abouti quand j’ai vu que l’on considérait qu’une femme avait aussi le droit de finir exténuée le marathon » déclara-t-elle 30 ans plus tard pour le film, encore chargée d’émotion.

Spiridon, le magazine d’une époque

Simultanément à ce qui se passe aux Etats-Unis, de joyeux lurons suisses, épris de liberté et de nature, créent un magazine pour partager leur passion. Spiridon, du nom du premier champion olympique du marathon, devient la bible de tous ceux qui veulent courir en s’affranchissant des institutions. Il va grandement contribuer à l’essor de ce que l’on appelle maintenant le running, en organisant des rassemblements qui connaissent un succès croissant. Mais le film rappelle un épisode qui nous paraît d’un autre temps : la course Marvejols-Mende en 1973, ouverte pour la 1ère fois en France aux non-licenciés et aux féminines, voit débarquer les estafettes de gendarmerie qui viennent l’interdire à la demande de la fédération d’athlétisme !

Les années de la démesure et de la dérive

Comment les premières épreuves marginales à New York sont elles devenues ces manifestations gigantesques, faisant désormais plus penser à des événements commerciaux que sportifs ? Fred Lebow, un exilé roumain courant avec un léger boitillement, convainc les pionniers de quitter le Bronx et de s’aventurer dans Manhattan. Le déclic se produira en 1976, où pour le bicentenaire des Etats-Unis, Fred Lebow propose que le marathon parcourt les cinq quartiers de New York et se termine à Central Park. Malgré les craintes liées à la dangerosité supposée du parcours, la course est un succès ce qui la fera définitivement basculer dans une ère nouvelle.

La démesure et la dérive vers les intérêts financiers connaîtront leur apogée en 2012, alors que l’ouragan Sandy venait de frapper New York. Les autorités décident de maintenir le marathon, pensant que cela pourrait donner l’image d’une ville qui se relève, quand bien même le parcours emprunte des zones dévastées où les secours continuent de repêcher des cadavres. Il sera finalement annulé la veille, alors que de puissants groupes électrogènes qui pourraient fournir des blocs entiers d’appartements en électricité, sont installés uniquement pour alimenter des chronomètres géants ! Trop c’est trop.

Caravane NikeOn ne peut que regarder d’ailleurs d’un regard amusé ou perplexe, cette petite société de Eugene, Oregon, qui décide de fournir des chaussures à la star montante du moment, Steve Prefontaine. A l’époque ces athlètes doivent respecter le statut d’amateur sous peine de ne pouvoir participer aux Jeux Olympiques. Nike donc, investit dans ces sportifs à l’esprit libertaire et installe sa caravane au bord des stades pour fournir aux participants tee-shirts et quelques rations alimentaires. Sans commentaire !

Beaucoup des pionniers des années 1970 s’éloigneront de l’évolution mercantile de l’activité empreinte de liberté et de fraternité qu’ils avaient popularisée. Noël Tamini, son créateur, arrêta la publication de Spiridon à la fin des années 80, ne voulant pas s’engager dans l’engrenage de la publicité et retourna courir dans la forêt pour son simple plaisir. Tous d’ailleurs continuent de pratiquer et affichent une belle santé. Kathrine Switzer a prévu de s’inscrire pour ses 70 ans au marathon de Boston l’an prochain. Ce sera son 40 ème !

Une idée folle …

C’est surtout l’aspect lutte pour le droit des femmes qui m’a marqué. Et je n’ai pu m’empêcher d’imaginer, qu’un illuminé, revenant à l’esprit initial de ces premières courses militantes, qui allaient, dans ce secteur, contribuer à l’égalité des deux sexes, organise des marathons dans tous ces pays où les femmes n’ont sans doute pas le droit de courir mais pire sont souvent obligées de disparaître de l’espace public. Qui sait si cela ne contribuerait pas, à sa modeste échelle, à la reconquête de la liberté et de l’égalité ?

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