WALL DRAWINGS, MAC de Lyon

Vagues de migrants sur canapé

Je ne sais pas si l’installation de poufs où le spectateur peut s’affaler pour prendre le temps de regarder les fresques et les analyser, visait consciemment à un effet paradoxal et provocateur, en particulier dans cette pièce où s’étale cette oeuvre d’un artiste belge, Charley Case, Gibraltar, Vagues migratoires. Toujours est-il que, par le hasard de cette photographie que j’ai prise au moment où il y avait le moins de monde qui circulait dans cet espace, à défaut qu’il soit vide, l’instant ainsi figé fournit une image assez frappante et révélatrice de la situation actuelle.

Très franchement, je ne l’ai pas prise à dessein. Les gens qui me connaissent savent que je suis un piètre photographe, que ce soit dans le cadrage, la luminosité ou le sujet même. J’en suis venu à développer une stratégie que seul l’avènement du numérique a permis, la photographie statistique : sur la quantité, de temps en temps, il y en a une où tout le monde sourit en même temps, où les pieds ne sont pas coupés – généralement j’arrive à sauver quelques têtes -, où, comme pour celle-là, il y a une conjonction heureuse du moment et de l’objet de la photo.

vagues-de-migrants-detailsElle exprime combien nous sommes à la fois spectateurs et impuissants. Spectateurs car ces drames se déroulent sous nos yeux et quasiment en direct, la chaîne des outils de communication, faisant que personne ne peut, de bonne foi, les ignorer. Impuissants, car nous nous sentons bien évidemment dépassés à titre individuel mais surtout incrédules face au cynisme des choix politico-stratégiques, face à la folie criminelle, et face aux promoteurs de la haine et du repli sur soi.

La photo a force de symbole, mais elle ne serait rien sans cette fresque bouleversante qui vous submerge d’émotion. Toutes ces vagues qui déferlent sont composées de corps, petits et grands, ballottés dans un ressac monstrueux qui les empilent et les disloquent. Charley Case en fait un mouvement perpétuel comme si il leur était impossible d’atteindre le but pour lequel ils se sont embarqués. Par le jeu des murs à angle droit, ces deux grandes vagues foncent l’une sur l’autre, s’entrechoquent, et se repoussent, comme un ultime affrontement entre les migrants eux-mêmes forcés à se piétiner pour aborder un rivage illusoire. Quand on s’approche et que l’on regarde les détails, certaines formes effilées, telles des spermatozoïdes et certaines autres recroquevillées, telles des fœtus, font penser que la vague se régénère elle-même comme si les populations qui naissent en Afrique sont condamnées à être aspirées par ce flot qui les emportent vers une espérance trop souvent mortelle.

Fuocoammare

Cette représentation fait écho au documentaire Fuocoammare de Gianfranco Rosi sorti fin septembre et primé de l’Ours d’or à Berlin début 2016. Bien que les marins des navires de Frontex fassent un travail admirable, on y ressent ce même sentiment d’impuissance face à ces embarcations surchargées qui réapparaissent sans discontinuer charriant rescapés et cadavres. Il se dégageait également de ce film une sensation surréaliste, parfois proche d’une forme de malaise, à voir ces deux mondes qui cohabitent sans se rencontrer : des habitants de l’île de Lampédusa qui continuent à vivre sans qu’aucune de leurs habitudes et occupations ne soient modifiées, sans même qu’ils ne semblent avoir conscience de ce qui se passe à quelques pas de chez eux et les migrants, récupérés à quelques kilomètres du bord de mer, puis recensés, triés et transférés directement vers des centres d’accueil en Italie sans qu’il n’y ait de contact avec la population locale. Seul le médecin est montré d’un côté avec ses patients italiens et de l’autre dans un dévouement sans limite pour sauver les survivants. Cet homme est le personnage principal et l’un des artisans auprès de GianFranco Rosi du choix des images, ayant soutenu le réalisateur pour qu’enfin cette situation accablante et terriblement humaine soit montrée dans sa plus simple réalité.

Wall Drawings

wall-drawingsComme son nom l’indique, cette exposition initiée et portée par le Street artiste Julien Malland alias Seth – il en est l’un des deux commissaires – nous montre des oeuvres monumentales peintes sur les murs du MAC. Elles ont été réalisées sur place par une dizaine de créateurs avec qui Seth a travaillé lors d’un tour du monde à la rencontre d’artistes de cultures différentes et qu’il a invités non seulement à se produire au MAC mais aussi à intervenir dans la ville, tous les lieux étant indiqués dans la documentation fournie par le musée. Son choix s’est porté sur des artistes « qui tous mêlent dans leur pratique, art urbain et traditions ancestrales, chacun puisant dans les mythes fondateurs, les légendes indigènes ou encore les faits politiques marquants qui ont façonné leur territoire, entre savoir-faire locaux et globalisation. »

dans-ma-teteToutes ces oeuvres sont puissantes et émouvantes ; certaines évoquent les préoccupations et les troubles qui traversent actuellement nos sociétés ; d’autres s’attachent plus à l’intimité de l’être humain, comme celle évoquant la nécessité du sentiment amoureux « unissant les personnes quels que soient la race, la tribu, le sexe ou les idées » ; Seth, pour sa part, livre une installation rassemblant plus de 1000 dessins d’enfants du monde entier, qu’il a appelée « Dans ma tête ». On y entre par ce petit couloir se rétrécissant et débouchant sur un mur couvert de toutes ces feuilles juxtaposées, comme une offrande et un remerciement à tous ces enfants dont il a fait un de ses sujets de prédilection sur les murs de la planète.

Wall Drawings, Icônes urbaines, MAC de Lyon jusqu’au 15 Janvier 2017

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