LA SOCIALE de Gilles Perret

Documentaire d’utilité publique !

Et applaudi à la fin de la séance ! Cela est déjà rare pour un film, alors pour un documentaire …

La Sociale est un formidable rappel des valeurs de solidarité et de progrès qui animaient les inventeurs de la Sécurité Sociale en 1946, valeurs qui ont petit à petit laissé la place à une approche essentiellement comptable, oubliant cette volonté politique qui visait à libérer les employés, salariés et leurs familles de l’angoisse de la maladie et de ses conséquences dévastatrices.

Bien sûr les temps ont changé, les urgences de l’après-guerre étaient sans doute plus vitales que les besoins d’aujourd’hui. Mais même si le contexte s’est grandement modifié, même si un effort constant doit permettre à cette organisation de tirer profit des évolutions des techniques et des outils de gestion modernes, l’exigence initiale de solidarité et de progrès devrait toujours inspirer la conduite de la Sécurité Sociale. En ces temps où l’accès aux soins de première nécessité risque d’être en partie remis en cause par des promesses électoralistes, ce documentaire rappelle entre autres, le formidable bond en avant de l’espérance de vie, seulement quelques années après la création de la Sécurité Sociale, dû au simple fait de prendre en charge la santé des populations quelque soit leur situation socio-économique.

Les figures qui illuminent « La Sociale ».

Tout d’abord celui qui en est le fil rouge, Jolfred Frégonara, 96 ans, militant CGT, chargé de la mise en place des premières caisses primaires en 1946 en Haute-Savoie. Pas une ride dans la voix. A voir comment il continue de défendre sa grande cause aujourd’hui, on imagine l’énergie du bonhomme il y a 70 ans, lorsqu’il a fallu s’organiser en quelques mois dans son département, quitte à bousculer un peu le patronat de l’époque. Il en a encore le sourire malin dans les yeux quand il en parle.

En surplomb, trône la figure historique mais passée aux oubliettes, d’Ambroise Croizat. Communiste et secrétaire général de la métallurgie CGT – ce qui, par la suite, a dû sans doute lui valoir de disparaître de la mémoire officielle – il devient ministre du Travail dans les gouvernements d’après-guerre et dirige, à partir de début 1946, la mise en place de l’ensemble du nouveau système de protection sociale : maladie, retraite, allocations familiales. Il s’appuiera sur les bataillons de militants CGT pour réussir le tour de force de faire émerger une structure opérationnelle en moins d’un an ! Il décède à 50 ans et son cercueil sera accompagné par près d’un million de personnes, majoritairement ouvriers, employés, militants, qui savaient au plus profond d’eux ce qu’ils lui devaient.

Michel Etievent, l’historien qui nous guide des aciéries de La Léchère en Tarentaise, où le père d’Ambroise Croizat menait les premières luttes syndicales, jusqu’au Ministère du Travail, où il retrouve, ému, le portrait de l’artisan de la Sécurité Sociale et où François Rebsamen, ministre du Travail lors du tournage du documentaire, étale toute son inculture et son inconséquence. Michel Etievent a consacré l’essentiel de son travail aux luttes ouvrières et à Ambroise Croizat en particulier. Il vibre, il est habité par son sujet et par le souci de rendre justice et leur place dans l’histoire à tous ces militants qui se sont battus pour l’amélioration des conditions de travail et de la protection sociale.

La formidable hépatologue de l’APHP, qui règle assez rapidement la discussion absurde sur les petits risques et les gros risques. Elle explique également de manière très simple et pédagogique, que le prix très élevé de certains médicaments, est beaucoup plus dû à la spéculation financière des laboratoires qui cassent leur tirelire pour en racheter d’autres à coup de milliards pour le futur profit de leurs actionnaires, qu’au réel coup de recherche et développement. Le soi-disant trou de la Sécurité Sociale serait-il en partie dû à la nécessité des laboratoires de rembourser rapidement leurs créanciers ? Qui doit-on accuser de mauvaise gestion alors ? Ces entreprises ont-elles le moindre souci de la santé publique ?

Bien qu’il soit en l’occurrence plutôt l’ange noir qu’une figure qui illumine le documentaire, il est impossible de ne pas relever la tirade de Denis Kessler lors du congrès du Medef en 2007. On se pince ; on pense qu’il est en train de lire une revendication du patronat de la fin du XIX ème siècle ; on sent la haine et le mépris dans chaque mot qu’il éructe. Et pourtant il s’agit de sa pensée, livrée sans filtre, où l’on sent la volonté d’une revanche qui bouillonne et semble prête à le faire exploser. On ne va pas souhaiter qu’il tombe gravement malade pour qu’il puisse bénéficier de la prise en charge totale de soins coûteux, et qu’il fasse amende honorable comme un autre chantre de l’ultra-libéralisme et du démantèlement de la Sécurité Sociale, Jean-Marc Sylvestre, qui après être passé à deux doigts de la mort il y a plus de 10 ans, avait écrit un article dans Les Echos se terminant par « Le système de santé français est formidable : il faudrait être sûr que tout le monde puisse en bénéficier… ». Rassurons ses amis libéraux, vu son article du 3 novembre dans Atlantico, il a oublié cet épisode douloureux …

Toujours le même mot d’ordre …

Le message que délivre les acteurs de ce documentaire continue de faire écho aux idéaux qui ont guidé les pionniers : progrès et solidarité. Avant d’être budgétaire, le choix est politique. Quelle vision a-t-on de la santé pour tout un peuple ? Les acteurs économiques n’ont-ils pas finalement intérêt à ce que l’ensemble de la population ait accès aux soins sans que ce soit au détriment d’autres besoins de base ? Quelle est cette soi-disant modernité qui conduit à une médecine à plusieurs vitesses ?

A voir l’énergie, l’élan, la « gnaque » que certains avaient il y a 70 ans, on rêve d’un sursaut ! Et que « La Sociale », immédiatement après sa carrière en salles, soit diffusée à la télévision à une heure de grande écoute pendant la campagne présidentielle.

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