Manchester by the sea

C'est beau, beau, beau...

Les cons, ça a toujours un avis, c’est même à ça qu’on les reconnait. On pourrait humblement parodier Michel Audiard pour décrire les critiques de cinéma. Dans le tumulte des sorties hebdomadaires, un film en chassant un autre, le brouhaha de tous et de chacun nivelle toutes les oeuvres. Choisissez votre échelle : les étoiles d’Allocine et d’IMDb ou les tomates de Rotten Tomatoes. Les gens faisant autorité (supposément) se multiplient, la note finale devient largement pondérée, évoluant entre un “moyen moins” et un “moyen plus”. Nous ne sommes plus à la mesure de la puissance du septième art. C’est pourquoi ici nous ne notons pas les films… ni experts, ni instituteurs, nous ne délivrons ni vérité ni bons points ! Dans cette excitation et cette précipitation, un film, parfois, surgit. C’est-à-dire qu’il réclame que l’on mette pause. L’année passée, c’est Elle qui nous avait donné ce sentiment. Aujourd’hui, dans un style très différent, Manchester by the sea.

On vous a forcément parlé de ce film, quelques expressions doivent vous revenir : “très beau”, “poignant”, “pleurer à chaudes larmes”. Tout ceci est bien vrai et demande approfondissement.

L’émotion. On met environ 1h à sortir du film. Est-ce forcément le signe d’un bon film ? Personnellement, je soupçonne toujours les larmes versées dans une salle de cinéma d’une facilité de réalisation. Il y a des recettes pour faire pleurer au cinéma... à la différence du rire. Par exemple, filmer un bébé cadum en pleine chimiothérapie avec un air violon en fond. Pour le coup, Manchester by the sea échappe totalement au mélodrame parce qu’il n’y a aucune complaisance à la souffrance. Cela tient particulièrement au protagoniste qui déploie l’énergie qu’il lui reste (après avoir vécu un effroyable drame) dans une stratégie d’évitement du passé. Manque de bol, le décès de son frère le rend responsable de son neveu et le pousse à revenir dans sa ville natale. Les fantômes qu’il noyait dans l’alcool et les bagarres de bar, refont surface lors de flashback particulièrement bien positionnés.

Le film tourne autour de ce personnage, Lee Chandler, campé admirablement par Casey Affleck. Mutique, il est d’abord une énigme puis se révèle par flashbacks successifs. On sait peu de choses de lui. Lorsqu’il est seul, une musique classique débute systématiquement. Belle idée de réalisation, la musique classique montre la mélancolie insondable du personnage. C’est une émotion muette, à la verbalisation impossible comme les airs d’Albinoni ou Haendel.

Sans grandiloquence, le film nous amène à des sommets d’émotions, de compassion pour ce Lee Chandler.

Deux moments paroxystiques en particulier : la scène du commissariat et celle d’une rencontre fortuite avec son ex-femme. Casey Affleck incarne quasi-parfaitement cette retenue, plus il tait ses émotions, plus le spectateur se répand en flots de larmes compensatoires. Il y a quelque chose de christique dans ce personnage, le chemin de croix, l’expiation. Il endosse la responsabilité et le malheur, peut-être aussi pour décharger les autres. Ceux-ci évoluent, se reconstruisent, changent physiquement. Lui, semble figé depuis le drame comme s’il avait un pied d’ores-et-déjà dans le monde d’après. On se risquerait volontiers à une interprétation : Kenneth Lonnergan habille son personnage avec deux marques ayant un “C” pour logo (Carhartt et Champions), on y verrait volontiers un indice pour “Christ”, sans compter les stigmates qu’arbore Lee.

Pour info, le film est noté 8, 5/10 chez IMDb, 4, 6/5 chez Allociné et 97 % tomate fraiche chez Rotten Tomatoes. Si c’était un lave-vaisselle, il serait noté A+ mais puisque c’est une oeuvre culturelle, allez vous faire votre avis.

PS : A noter qu’il s’agit d’un scénario original (ça se fait rare dans le cinéma américain) et que le scénariste est également le réalisateur. Bravo Kenneth Lonnergan !

Update : je publie ici les commentaires que j'ai reçus (ce n'est pas idéal mais cela nous permet tout de même d'échanger)

- "Un seul bémol, l'utilisation putassière du prétendu adagio d'Albinoni pour "illustrer" la scène centrale. Le site anglais wikipedia sur le dit adagio ne recense pas moins de 28 occurrences de son utilisation au cinéma (de marienbad à manchester, celle-ci m'apparaissant superflue)"

Je suis en partie d'accord, l'utilisation de la musique classique peut être vue comme emphatique, ampoulée. Pour ma part, je pense qu'elle seule peut dire l'émotion indicible du personnage muet. Là où je suis d'accord, c'est qu'il aurait pu choisir une autre musique classique, moins utilisée.


- "Curieux que le petit bulletin papier n'ait pas consacré, sauf erreur, d'article à ce film admirable."

Comme ça, les blogueurs sont complémentaires et à nous tous, on couvre presque tout le champ cinématographique :-)

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