Critique du film LE CAIRE CONFIDENTIEL de Tarik Saleh

A corrompu, corrompu et demi … au moins !

Le Caire Confidentiel est un escalier dont le spectateur monte progressivement les marches, dans une atmosphère étouffante, pour découvrir à chaque degré un niveau de corruption supérieure. Il les monte au début en compagnie de Noureddine, inspecteur de police ni meilleur ni plus mauvais qu’un autre et qui combine naturellement son travail de policier et la perception de bakchichs auprès des petits commerçants ou de personnalités qui ne souhaitent pas être mouillées dans une enquête.

La routine ! Jusqu’au jour où il y a crime et qu’un influent entrepreneur semble impliqué dans l’assassinat d’une chanteuse jeune et célèbre.

Malgré que son supérieur – qui est par ailleurs son oncle, veille précautionneusement à la carrière de son neveu, et organise ses petits trafics- lui ordonne de laisser tomber toute investigation car l’affaire a été classée par de plus hautes autorités, il va évidemment persister et pénétrer petit à petit dans des zones grises où il est ballotté comme un fétu de paille au gré des forces policières, politiques, et du business, qui s’influencent, se combattent ou coopèrent en fonction des intérêts changeant des uns et des autres et de l’évolution de la situation géopolitique : l’action se situe en plein Printemps arabe à quelques jours des premières manifestations sur la Place Tahrir au Caire.

Ambiance poisseuse et crépusculaire

On suit alors Nourrreddine dans une ville bruyante qui pullule, dans le brouillard permanent de la fumée des cigarettes qu’il enchaîne, dans une atmosphère lourde chargée des effluves des épices et des gaz d’échappement d’une circulation qui ne faiblit jamais, dans les bidonvilles labyrinthiques où vivent les travailleurs immigrés d’Afrique noire dont la présence en Egypte, voire l’existence, semble en permanence remise en question. On souffre avec lui quand il se débat dans ce magma poisseux et sent sa progression freinée par de nouvelles strates de corruption qui se dérobent sous ses pieds, jusque dans son entourage proche.

Il vit la nuit, insomniaque, dans le souvenir douloureux de sa femme morte dans un accident de voiture. La lumière du jour semble plus une agression que la promesse d’une aube régénératrice. Il affronte des forces qui le dépassent, dans un jeu du chat et de la souris qui rapidement s’inverse : lui qui est censé représenté l’autorité qui part en chasse, comprend soudain qu’il est le gibier !

Ni morale ni sentiments

Il n’y a de place que pour la survie. Quelque soit l’étage auquel on se trouve, il y a toujours un plus puissant et un plus corrompu qui peut vous éliminer du jour au lendemain si ses intérêts sont menacés. Surtout quand les tensions montent et que les gros poissons commencent à s’affronter entre eux. Pas de place non plus pour les sentiments ; les jeux de séduction ne sont que des pièges qui se referment à un moment ou à un autre.

Noureddine, comme une anguille se glissant dans les failles, plus par réflexe de protection que par stratégie, surmontant les multiples tentatives de le faire céder – allant de l’exécution en pleine rue à la promotion inattendue – harponne le requin des affaires, à la plus grande surprise de tous, juste au moment où les premiers manifestants embrasent le centre ville du Caire.

Mais dans cet univers mouvant où la corruption fait office de colonne vertébrale des gens de pouvoir, tout peut basculer d’un instant à l’autre.

Oppression

On ressent pendant les presque deux heures du film une pression permanente, asphyxiante. On sent physiquement le fardeau que traîne Noureddine sur ses épaules. Sa grande carcasse sèche et affûtée ne ploie jamais complètement sous la contrainte. Il traverse les épreuves sans espoir ni affect. Ni héros, ni justicier. Flic corrompu de base plongé dans une histoire où un dernier sursaut d’humanité semble lui maintenir la tête hors de l’eau et le pousser à dénouer l’énigme, coûte que coûte.

« Le Caire Confidentiel » a obtenu le Grand Prix du Festival du Film Policier de Beaune 2017. C’est sans doute une reconnaissance mais dommage qu’il ait été cantonné à un genre. Sous ses aspects de thriller sombre et poisseux, il pointe des dérives, des haines, des impasses d’une société en plein bouleversement, en pleine ébullition démocratique. Vu le palmarès à Cannes, j’aurais été curieux de voir ce que ce film s’il-n’y-en-a-qu’un-à-voir-en-ce-moment-c’est-celui-là aurait obtenu comme récompense présenté à une audience plus large.

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