Critique du film UNE FEMME FANTASTIQUE de Sebastián Lelio

Combat pour la dignité et l’équité

Orlando, un quinquagénaire grisonnant assis au bord de son lit et qui suffoque. Sa petite amie, à qui il vient d’offrir un voyage en amoureux aux Chutes d’Iguazú, l’emmène en urgence à l’hôpital. Le cœur lâche. Marina, seule, face à la mort de son amant, de son compagnon. Elle s’en va, avertissant le frère du défunt, seul contact avec sa famille.

Rattrapée dans les rues proches de l’hôpital par la police : pourquoi a-telle fui ? Premier regard soupçonneux. La différence d’âge ? Non, Marina sous son apparence très féminine est née homme. Le policier hésite sur le pronom quand il s’adresse au frère : il … elle. Non elle n’a pas fui. Mais qui est-elle officiellement pour le défunt ? Rien. Alors elle retournait dans leur appartement. Non il n’y a pas eu violence ; les contusions du mort sont dues à sa chute dans l’escalier pendant les quelques secondes où elle l’a lâché pour chercher des clés dans l’appartement. Non il n’y a pas eu non plus de jeu sexuel pervers. Toutes les questions sont immédiatement orientées jusqu’à demander si elle était payée.

Charme et sobriété

Pourtant Marina a l’apparence d’une jeune femme normale, loin d’une vision caricaturale des travestis ou des transexuels. Serveuse appréciée de sa patronne dans un restaurant branché, chanteuse certains soirs dans un cabaret, élève appliquée d’un vieux professeur de lyrique, elle s’habille et se maquille sobrement, laissant affleurer un charme discret, qui a sans doute séduit Orlando.

Suspicion et rejet

Non madame l’inspectrice de la brigade des mœurs, ce n’était pas que sexuel. Nous nous aimions. Et pourquoi vous envoie-t-on enquêter ? Pourquoi voulez-vous me faire passer un examen physique humiliant ? Pourquoi me parlez-vous de votre passé dans la rue ? Il ne lui est accordé aucun crédit d’une vie sentimentale normale. Est-il possible que cette relation où se combinent écart d’âge et identités sexuelles transgressives puisse être autre chose que de la perversion ?

Inutile de dire que la famille n’a jamais accepté ce qu’elle considère comme une folie de la part du père et mari. Son fils marque immédiatement son territoire en exigeant violemment que Marina quitte l’appartement. Sa femme, qui ne l’avait jamais vue, la convoque dans le parking sans âme de son entreprise pour récupérer sa voiture. Elle lui refuse évidemment l’accès aux funérailles et à l’enterrement, présence jugée incongrue dans une église !

Marina se fait dépecer dans un procès d’illégitimité contestant à la fois la nature de sa relation avec Orlando et sa propre identité.

Résistance

Que faire ? Crier ? Pleurer ? Frapper ? Hurler ? Refuser en tout cas qu’on lui dénie le droit à une vie normale. Résister sans éclat mais avec détermination et ténacité. Avancer quoi qu’il arrive comme dans cette scène allégorique où l’on voit Marina penchée en avant, luttant face à un vent violent qui la freine et cherche à la repousser.

Pourquoi tant de haine ?

L’intelligence du réalisateur est de mettre à l’écran une personne quasi ordinaire dont la féminité ne suscite aucun doute, à tel point que si l’on ne connaît pas l’histoire, les dix premières minutes ne semblent qu’une romance à l’eau de rose un peu ennuyeuse entre un homme d’âge mûr et une jeune femme qui pourrait être sa fille. Il installe le spectateur en quelque sorte du côté du conformisme pour susciter son incompréhension et son désaccord lorsque police et famille s’abattent sur Marina. Laissez la tranquille a-t-on envie de souffler ! Au nom de quelles règles morales archaïques rejetez-vous ses sentiments ? Sous le prétexte de quelle classification sexuelle moyenâgeuse lui déniez vous le droit d’aimer et d’être aimée ?

N’est-elle pas infiniment plus digne et humaine que le fils d’Orlando et ses deux vulgaires acolytes au volant de leur 4 x 4, qui l’insulte, la menace, s’arrête puis la bouscule sur la banquette arrière et la rejette dans une zone d’entrepôt sordide ?

Approche en douceur ou approche directe : un même combat

Le film est évidemment un plaidoyer pour l’égalité des droits quelque soit l’identité sexuelle. Il le fait en quelque sorte en nous prenant par les sentiments à travers un parcours individuel, choix de son réalisateur chilien, Sebastien Leilo, pour faire passer son message avec subtilité et poésie dans un pays encore très traditionnel.

Dans le même temps, un autre film, « 120 battements par minute », qui sortira fin août mais dont il y a déjà eu plusieurs avant-première, aborde le combat des homosexuels au début des années 90 dans leur lutte contre le sida et pour la reconnaissance de leurs droits. Il le fait lui à travers une aventure collective, sous un aspect proche du documentaire et en mettant en avant les actions spectaculaires mises en place pour frapper les esprits.

Deux angles d’attaque différents pour revendiquer l’égalité de traitement quelque soit l’orientation sexuelle et pointer, à quelques dizaines d’années d’écart, l’intolérance, le conservatisme, le rejet de la différence. Les deux méthodes sont utiles, complémentaires et chacune a son efficacité. Les deux films sont forts émotionnellement, l’un touchant une fibre sentimentale, l’autre agitant la colère.

Et de manière amusante, les deux ont été reconnus par la profession : « Une femme fantastique » a reçu l’Ours d’argent du Scenario en février à Berlin et « 120 battements par minute » a reçu le Grand Prix en mai à Cannes. Ils sont également bien partis a priori pour être appréciés du public.

Un rôle ? Non, une vie !

L’actrice principale est elle-même une personne transgenre, Daniela Vega, embauchée à l’origine par le réalisateur comme consultante pour garantir le réalisme du scénario. Dès la fin de son écriture, il lui confie le rôle principal. Elle est devenue très populaire au Chili, faisant même la Une d’un magazine féminin, habituellement réservée aux mannequins.

Et c’est elle qui est montée sur scène à Berlin recevoir le prix décerné au film.

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