Où il serait question d'interdire la cigarette au cinéma...

Édito du n°1075 - mercredi 22 novembre 2017 - Petit Bulletin Grenoble

Au cinéma, une cigarette sert à tout un tas de choses : installer une ambiance (les volutes sont très cinégéniques), retranscrire une époque (un film noir du siècle dernier se devait d’être enfumé), faire rebondir le récit (la drague clope au bec est un incontournable du 7e art), donner de la contenance à un personnage (comme dans la vraie vie d’ailleurs – Gad Elmaleh en a fait un sketch)…

« Je ne comprends pas l’importance de la cigarette dans le cinéma français. Il se trouve que j’en ai parlé à la ministre de la culture Françoise Nyssen pour l’alerter. Il y aura des mesures [qui seront prises]. » Voilà ce qu’a déclaré la ministre de la santé Agnès Buzyn la semaine dernière, suite à une question d’une sénatrice qui regrettait « cette sorte de publicité détournée pour la consommation de tabac » faite par le cinéma français. Un questionnement qui n’est pas nouveau du côté des politiques et des institutions de santé (l’Organisation mondiale de la santé souhaite par exemple mettre en place une classification des films dans lesquels les personnages fument) mais qui est toujours aussi mal formulé.

Car si cette idée part d’une bonne intention, elle est finalement très dangereuse comme aurait pu répondre le compositeur Camille Saint-Saëns à la ministre s’il était encore en vie. « " Les lois de la morale régissent l'art " a dit Schumann. Cela est fort joli ; mais cela n'est pas vrai. En morale, l'intention peut justifier bien des choses ; en art, les meilleures intentions ne sont bonnes qu'à paver l'enfer. » À ce rythme, on pourrait aussi interdire sur grand écran la drogue, la conduite trop rapide, les meurtres et les chaussettes dans les sandales.

Pour lutter contre le tabagisme et « dénormaliser l’image du tabac dans la société » comme le souhaite Agnès Buzyn, il faut donc travailler en amont contre le pouvoir de fascination qu’exerce la cigarette, le cinéma n’étant qu’un miroir (déformant et fantasmé, certes) de notre monde. Et si un jour la société finissait par être dans son ensemble écœurée par ce produit bien dégueulasse (ouais, nous nous permettons nous aussi un petit jugement moral), il y a fort à parier que les cinéastes auront d’eux-mêmes beaucoup moins recours à cet artifice.

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