Chronique d'une promeneuse en solitaire - Deux épisodes

Récit construit en deux épisodes de mes aventures culturelles du vendredi 27 avril et samedi 28 avril 2018 à Lyon. - Kings, film de Deniz Gamze Ergüven - 2ème soirée du Petit Bulletin Festival, 2ème édition

Introduction - Episode Zéro

Cela fait maintenant plusieurs années que je me demande quel est le sens de la/ma vie ; à trop ressentir et rien produire, c’est l’impasse créative qui me guette ainsi que la frustration de ne pouvoir dire et partager mes sentiments.

Douée pour aucun art, gentille mais pas charismatique, je commence à trouver le temps long – être dans l’antichambre de sa propre vie peut sembler être une oasis pour les gens pressés et avec des responsabilités écrasantes, ça ne l’est pas pour moi qui ne suis responsable que de ma propre vie.

Au fur et à mesure de mes études et de mes lectures, cette question centrale – autocentrée ? – du sens de la vie s’est étoffée de questionnements plus larges sur la raison d’être de l’espèce humaine, de l’Histoire universelle (y en a-t-il vraiment une ?), de l’organisation de nos sociétés : à quoi bon enseigner l’Histoire si d’aucuns ne sont d’accord pour dire que notre présent découle du passé des autres, qu’elle se répète, qu’il y a une finalité (parce qu’il faut bien qu’il y en ait une ?) ou qu’elle procèdera de notre futur ? – à quoi bon enseigner la Littérature si l’on prend en considération que l’Art est une forme de subversion et de critique (sociale, psychique, symptomatique) tandis qu’on l’enseigne comme un totalitarisme normé (dictées, grammaire, orthographe – la bonne manière d’écrire ?) ?

De toute façon, à quoi bon enseigner ? L’éducation, l’autorité sont l’apanage des dominants sur les dominés…

Mettant tout cela de côté, parce qu’il faut bien vivre, je me promets désormais de vivre pour moi et prendre toutes les possibilités, comme d’éventuelles destinations. Me considérant comme enceinte et avide de la vie, je décide de consciemment transformer ce pessimisme arrogant ou cette lucidité improductive pour nier mes faiblesses et attendre la créativité.

Et j’attends.

J’attends le prochain numéro du Petit Bulletin ou les programmations du Comœdia pour renouer avec la Vie, la vraie littérature.[1]

Episode 1 – Vendredi 27 avril 2018 – Kings

Film de Deniz Gamze Ergüven sorti le 11 avril 2018.

Synopsis : Los Angeles, 1991. Millie Halle Berry – est mère célibataire dans un quartier populaire de Los Angeles. Elle élève – non sans difficulté et seule – ses enfants et plusieurs autres qu’elle garde chez elle avant qu’ils ne soient adoptés. Son fils aîné, Jesse Lamar Johnson – est sur le point de débuter sa vie d’homme, l’heure à laquelle les projets se construisent avec la naïveté et l’innocence d’un premier amour. Tous, vivent des multiples boulots que la mère exerce dans la journée, s’organisent comme fratrie unie et aimante.

Sur ce noyau familial se greffent les rôles du voisin Ollie – « le seul Blanc du quartier » joué par Daniel Craig – de William Kaalan Walker – jeune adolescent ramassé dans la rue au cours d’une interpellation policière et de Nicole Rachel Hilson – femme-enfant séduisante et symbole d’un avenir radieux/contestataire/amoureux.

C’est sur cette base familiale que le film s’ancre pour mettre en scène les événements du Los Angeles du début des années 1990 : après les violences commises par quatre policiers Blancs sur Rodney King et la retransmission de leur jugement à la télévision, extrapolation de la bêtise judiciaire et du racisme exacerbé ; après la mort de Latasha Harlins, jeune Afro-américaine tuée dans une épicerie par la gérante tandis qu’elle prenait un jus d’orange et comptait le payer à la caisse. Ce sont les quartiers populaires et la jeunesse afro-américaine qui se soulèvent pour dénoncer les injustices économiques, sociales et judiciaires des Institutions américaines.

Comme Detroit, sorti l’année dernière, le film mêle la fiction et des images d’archives. Si le résultat est moins convainquant, l’intention permet de créer des zones-ressources où le spectateur sait qu’il va pouvoir « souffler » et imaginer une fin qui réconcilierait les valeurs familiales et les nécessités morales d’un Happy End à l’américaine : la Famille retrouverait son intégrité, l’Amour règnerait et le racisme serait compensé par la convergence des cultures et par le Mariage des deux adultes du film. Naïveté du spectateur car fiction ne veut pas dire utopie fantasmée mais vie réelle imaginée. Si l’Amour et l’Innocence des opprimés – comme des enfants – sont ultra présents durant le film et jusqu’à la fin, c’est bien d’une dénonciation et d’une incompréhension du racisme dont il est fait le récit.

Bien sûr, il y a des maladresses scénaristiques : on voit cinq ou six fois la même image d’archive montrant les toits des quartiers de Los Angeles du début des années 1990 ; Millie, figure de la mère-célibataire, Amazone ou Wonder Woman des temps modernes conciliant jobs, vie de famille et grand cœur s’éprend de son voisin et s’en remet totalement à lui alors qu’elle est capable de se débrouiller seule ; Ollie, dépeint comme un rustre solitaire, devient soudain un écrivain venu trouver l’inspiration dans les quartiers populaires et s’occupant bien des enfants de sa voisine...

Mais si en comparaison avec Detroit, on veut reprocher au film son manque de documentation, il faut reconnaître qu’il y a une volonté commune de se libérer et de témoigner, auquel cas on pourrait dire que le savoir-faire d’un conservateur de musée a laissé place à la sensibilité et au désordre des émotions.

Bonus à l’épisode 1

Alors que, confortablement installée dans la petite salle 9 du Comœdia, je lis le dernier numéro du Petit Bulletin, je lis

Quelques semaines après la sortie de son album Cusp qui embrasse la question de la maternité, Alela Diane sera l’une des têtes d’affiche du Petit Bulletin Festival. »[2]

Néophyte, je ne connais pas la chanteuse mais j’aime le ton de l’interview et l’affirmation :

Ce qu’on attend de vous quand vous montez sur scène, c’est que vous soyez désirable et dans l’idée des gens c’est tout à fait contradictoire avec l’idée d’être une mère ». [3]

Je lis à peine la description de Lior Shoov quand le film commence.

Sortie du cinéma, l’esprit encore brouillon et des questions en suspens plein la tête. Je décide d’écouter une chanson de Lior Shoov et d’Alela Diane. Très vite j’arrête et, sur une intuition je prends ma place pour le concert du lendemain.

Episode 2 – Samedi 28 avril 2018 – Petit Bulletin Festival

Le début de soirée n’est pas mal du tout. Habituée aux concerts « mainstream » où il faut se présenter en avance devant les portes, j’arrive trop en avance devant les Subsistances. Je décide de lire et de profiter de la vue sur la Saône avant de rentrer dans l’enceinte du bâtiment. Captivée par le paysage et profitant de l’air ambiant, je ne rentre pas la première et j’oublie le temps.

Je n’étais jamais allée aux Subsistances, et bien sûr, j’ai trouvé le lieu très beau. J’ai eu le sentiment de faire une bêtise, de déroger à mon cadre de vie, mais de me sentir plus libre que jamais. Pour une fois, en dehors des contraintes et des limites que je me fixe, j’existais.

Voyant que la salle n’était pas du tout remplie et que les personnes avaient pris place sur des sièges disposés en rangées ou ci et là, je m’installe sur un fauteuil fait en bois de palettes. De là d’où je suis, j’aperçois le côté droit de la scène et j’observe l’arrivée des gens qui, comme moi, n’étaient jamais venus, le travail des hommes de la sécurité, les démarches, les sons, les attitudes de ceux qui attendent. Je reprends ma lecture. Plus tard, je reste au même endroit, mais je m’installe mieux, je vais même jusqu’à décaler un peu le fauteuil contre le mur pour pouvoir m’adosser et je m’entoure de la couverture posée dessus.

  • Première partie : Lior Shoov

Je vois Lior Shoov se préparer à monter en scène. Pour quelques instants encore elle ne chante pas, elle marche ; et me rappelle cette déambulation que tous les artistes ont avant qu’ils n’entrent en scène : ces instants où les pas sont comme des points de suspension avant leur existence sur scène, une sorte d’instant infini et éternel.

Je ne sais pas comment décrire ce que j’ai ressenti. C’était beau. Juste beau. Oui je ne voyais pas bien depuis ma place, oui des gens arrivaient au fur et à mesure sans se soucier réellement de leurs pas sur le plancher, et ? Il n’y avait pas besoin de regarder toujours Lior Shoov pour apprécier la beauté de sa musique et les émotions qui la traversent. Il suffisait de l’écouter. Et, légère, je me disais, que ce n’était pas si terrible de faire partie de l’espèce humaine.

  • Pause acoustique : Heather Woods Broderick

Puis, je ne sais pas comment j’ai pu être aussi rapide, mais je suis parvenue à faire partie des cent cinquante personnes autorisées à participer à quelques minutes d’un concert acoustique où Heather Woods Broderick – l’une des musiciennes d’Alela Diane – prêtait sa voix, ses textes, et ses notes de piano à notre confiance et à notre émerveillement. Que la salle sombre où nous étions plongés se transforme en une nuit étoilée à l’orée d’un bois et à côté d’un ruisseau, je n’en aurais pas été étonnée. Il fallait sentir les fourmillements dans les jambes pour se rappeler que tout était bien réel et allait prendre fin. Jusqu’au bout, je n’ai pas cru que cela allait s’arrêter.

  • Deuxième partie : Alela Diane

En sortant, je me suis glissée au premier rang des personnes assises pour la suite de la soirée. Et je n’ai pas été déçue.

J’ai passé le concert à admirer autant les musiciennes qu’Alela Diane. A savourer chaque instant. A me féliciter de n’avoir jamais entendu ses chansons et d’avoir refusé net de les écouter la veille au soir. Pour les découvrir seulement là, assise dans un lieu inconnu, avec des personnes que je ne connaissais pas. Pour la première fois de ma vie, j’étais avec moi-même seulement mais je ne me sentais pas seule.

Je ne peux pas parler ni de la technique, ni de la qualité sonore, ni des effets visuels ; car je n’y comprends rien. Je peux seulement parler de mes émotions et dire : je me sentais bien. J’étais à ma place.

Repartie avec un T-shirt à l’effigie d’Alela Diane et de son chat ainsi que son dernier CD, un autographe et deux ou trois photos ; je suis surtout partie avec du baume au cœur et l’impression que le monde n’était pas aussi terrible que les journaux ou l’Histoire veulent nous le faire croire.

Je remercie le Petit Bulletin pour ce beau moment et pour l’hebdo que je lis chaque semaine.

Merci !


[1] PROUST Marcel, Le Temps retrouvé, 1927 : « La vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie par conséquent réellement vécue, c’est la littérature ».

[2] DUCHENE Stéphane, Interview d’Alela Diane, Petit Bulletin, n°917 du 25.04 au 01.05.18, p.3.

[3] Ib.

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