HOMO DEUS de Y. N. Harari vs ORIGINE de Dan Brown

L’art et la manière …

Amateur de high-tech, de réflexions sur l’évolution de la société, de culture, de science-fiction, j’avais envie de me plonger dans cet essai d’un universitaire israélien dont beaucoup de médias faisaient l’éloge : Homo Deus, une brève histoire de l’avenir. Influence croissante de l’intelligence artificielle dans notre vie quotidienne, apparition de services de plus en plus personnalisés au détriment de la vie privée, main mise – même si elle est involontaire – des acteurs mondiaux du numérique dans les processus démocratiques, perte de contrôle de ces mêmes géants sur les outils qu’ils ont créés, … les thèmes évoqués dans la pléthorique couverture presse dont ce livre et son auteur ont fait l’objet, promettaient une lecture passionnante, soulevant des questions fondamentales sur les choix que nous allions faire pour dessiner la société dans laquelle nous voulions vivre.

Cet exercice de futurologie venait d’ailleurs après un premier ouvrage, Sapiens, une brève histoire de l’Humanité, retraçant l’évolution de l’homme, visant à expliquer comment cet être ni spécialement agile ni spécialement fort avait pu dominer le monde, asservir la plupart de ses créatures et commencer à avoir une influence significative sur la nature.

Cadeau

Les deux m’ayant été offerts à Noël, je m’y plongeai avidement, acceptant de parcourir d’abord les quelques millions d’années nous ayant amené à la situation actuelle, avant de découvrir avec intérêt et curiosité ce que pourrait nous réserver l’avenir.

La déception a été à la hauteur de l’attente. Sapiens est bien sûr une somme impressionnante, une compilation très savante d’analyses, d’observations, de théories, dont sans doute extrêmement peu de lecteurs peuvent juger de la pertinence et de la justesse. En même temps c’est l’intérêt des ouvrages de vulgarisation que de rendre accessible à un grand nombre l’expertise de quelques-uns. Le livre articule l’évolution de l’humanité en trois grands basculements : la révolution cognitive, il y a environ 30 000 ans, qui distingue Homo Sapiens des autres espèces par sa capacité à former des groupes nombreux qui coopèrent, qui communiquent et qui fondent des mythes ; puis la révolution agricole, il y a environ 10 000 ans, qui est la première étape dans la domestication de la nature, déclenchant une croissance démographique d’une nouvelle dimension ; enfin la révolution scientifique, située au début du XVIème siècle, où explorateurs et scientifiques européens, conscients de l’étendue de leur ignorance, partent à l’assaut du monde, avides de découvertes. Ces étapes sont sans doute tout à fait justifiables et justifiées, mais à la lecture des 500 pages qui couvrent plusieurs dizaines de milliers d’années, on ne peut s’empêcher de penser à la sélection judicieuse des événements et grands courants qu’a faite l’auteur pour que le récit de l’Humanité épouse parfaitement sa vision.

Ceci dit, Yuval Noah Harari fait part d’une préoccupation judicieuse, qui résonne d’autant plus à notre époque où l’individu est devenu une valeur cardinale : l’Humanité, collectivement, a certes progressé et conquis son environnement, mais cela s’est fait au prix de grandes disparités et n’a pas rendu l’être humain plus heureux. Il consacre en particulier l’avant-dernier chapitre, et à mon goût le plus intéressant, critiquant au passage les abus du capitalisme, à une réflexion globale sur la mesure du progrès, le sens et l’intérêt de la vie, et la pertinence d’apprécier le bonheur des peuples et des individus, relevant que l’homme a acquis un pouvoir colossal qu’il ne sait pas utiliser pour rendre le monde meilleur.

Le dernier chapitre, La fin d’Homo Sapiens, est une passerelle vers le deuxième livre, et on n’a alors qu’une seule envie, en se félicitant de la constance et de la volonté qui nous ont permis d’engloutir le premier pavé : se jeter sur le deuxième qui promet une passionnante exploration du futur.

L’ont-ils vraiment lu ?

Quelle ne fut pas la déconvenue ! L’essentiel du livre revient sur la construction intellectuelle et spirituelle de l’Homo Sapiens au cours des derniers milliers d’années, faisant une large place à la religion et émaillant le récit de quelques visions de la prise de pouvoir de l’intelligence artificielle, qui ne sont pas spécialement originales. Yuval Harari a une excellente équipe d’attachés de presse : beaucoup de critiques et de chroniques font état d’un ouvrage qui propose plusieurs scenarii de l’évolution de l’espèce humaine et amorce une réflexion sur les choix qui se posent à nous pour orienter le futur. Mais outre que la quasi totalité du livre se situe dans le passé, il n’expose qu’une version de notre destin, puis soudain, dans les deux dernières pages, s’appuyant sur l’évidence que « la technologie n’est pas déterministe » quant à son utilisation et l’avenir qu’elle trace, l’auteur nous laisse en plan avec trois questions fondamentales, dont on aurait justement voulu qu’il les développe dans les 425 pages précédentes.

Ce deuxième opus est proche de l’escroquerie intellectuelle tant son contenu est différent de la publicité qui en est faite, à croire que nombre de commentateurs et journalistes se sont contentés des quelques dernières lignes, pour ensuite fantasmer la teneur de l’ouvrage. Cela a au passage décrédibilisé un certain nombre d’animateurs d’émissions de radio, pourtant réputées de haute tenue intellectuelle, dont je ne peux désormais m’empêcher de douter qu’ils aient lu les romans ou les essais qu’ils commentent.

Un bon dessin vaut mieux qu’un long discours

Je n’avais jusqu’à présent lu aucun livre de Dan Brown et je ne suis même pas sûr d’avoir vu en entier un seul des films tirés de ses best-seller. Mais j’avais offert à Noël son dernier roman, Origine, à quelqu’un de la famille qui envisageait d’ouvrir un livre à condition qu’il coche quelques cases : un auteur populaire, des sujets d’actualités et un dosage scientifico-mystico-complotiste appétent. Quatre mois plus tard, le livre restant visiblement offert à qui viendrait le feuilleter, j’ai rapidement parcouru la 4ème de couverture pour me rafraîchir la mémoire : futur proche, intelligence artificielle, religion, culture, les mêmes ingrédients qu’Homo Deus mais dans une recette différente puisqu’il s’agit d’une oeuvre de fiction.

J’allais au moins éviter le risque d’y passer des semaines voire des mois : autant il m’avait fallu une quasi éternité pour ingurgiter les mille pages des deux briques – allusion au caractère roboratif de la lecture – de Yuval Harari, autant je me doutais que tourner la première page d’Origine m’entraînerait jusqu’à la dernière comme sur un toboggan. A défaut de la pure qualité littéraire ou de l’intérêt des thèmes traités, la force de ce genre de bouquin est de vous accrocher et de ne plus vous lâcher, entrecroisant les récits, laissant les personnages en suspens dans des situations périlleuses – le fameux principe du cliffhanger – qui vous fait lire le chapitre suivant pour retrouver au plus vite le dénouement de l’action au chapitre d’après et brassant des sujets en prise direct avec l’actualité, les déplaçant ici dans un futur technologique très proche, qui en permanence ressemble à un présent à peine déplacé dans le temps.

Considérant le caractère cinématographique de l’écriture de Dan Brown, une bonne image vaut mieux qu’un long discours ! C’est tout le contraste avec le pensum de Yuval Harari : en quelques pages on se retrouve au cœur d’un tourbillon où s’enchevêtrent religion, média, réseaux sociaux, assistant artificiel de dernière génération, culture et intrigue policière. Cette fois le lecteur n’est pas un spectateur dubitatif mais vit l’action, tout en gardant un œil curieux ou perplexe, voire pour certains, inquiet, sur les prouesses de l’indispensable Winston, fruit des dernières avancées technologiques exploitées par un jeune et brillant milliardaire qui semble tout droit inspiré de la vie trépidante d’Elon Musk.

Bien sûr ce n’est pas un essai et la matière est par nature moins aride. Mais les deux livres ne poursuivent-ils pas finalement le même but : nous faire réfléchir sur l’évolution d’une société de plus en plus imprégnée, et dans maintes circonstances contrôlée, par des algorithmes dont la puissance, la complexité et le fonctionnement mimétique au cerveau humain, leur ont valu le nom d’intelligence artificielle. On pourrait reprocher au livre de Dan Brown, une vision idyllique de la coopération entre l’homme et la machine, alors que le propos de Yuval Harari – ou disons plutôt l’intention prêtée à – était de poser les termes d’un débat sur un choix de société. Mais la fin du roman réserve quelques surprises, qui montre que son auteur n’est pas dupe des risques, et qui est une manière bien plus efficace finalement d’attirer l’attention sur les périls encourus si nous nous laissons seulement menés par le progrès et les intérêts financiers.

Si Origine est porté à l’écran, je promets cette fois d’aller le voir, d’autant que j’apprécie Tom Hanks, qui incarne le professeur Robert Langdon, dans les adaptations précédentes !

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