Le cul entre deux chaises

S’il est un survivant de l’âge d’or du cinéma érotique français, c’est bien lui. Contrairement à bon nombre de ses coreligionnaires pornocrates, Jean-François Davy s’est fait une place au panthéon des pionniers français du 7e art pas forcément hard. Son retour à la mise en scène est loin de nous convaincre, mais on ne pouvait résister à la tentation de retracer son parcours. François Cau (d’après des propos recueillis par Régis Autran)

Dès ses 15 ans, Jean-François Davy traîne ses guêtres dans les ciné-clubs parisiens les plus huppés, histoire de bouffer du film, d’idolâtrer la Nouvelle Vague, mais aussi de se faire des contacts. En 1966, âgé de 21 ans, Davy tourne L’attentat, un polar en noir et blanc influencé par Godard. Cinq ans plus tard, il se livre avec Le seuil du vide, film fantastique dont il macère les intentions depuis près de douze ans, en vain : le film ne sera pas distribué. Dès lors, Davy cède aux sirènes d’un genre émergent, sans y être vraiment forcé non plus… «Dans L’attentat, il y avait une scène d’amour. Le fait de demander à une actrice de se déshabiller m’avait titillé, il y avait la culpabilité liée à mes complexes d’éducation judéo-chrétienne, et l’excitation de transgresser un interdit. En sortant de L’attentat, je voulais faire du cinéma à tout prix, et s’il fallait passer par l’érotisme, pourquoi pas».Les amours buissonnièresJean-François Davy se lance donc dans la brèche érotisante, en y rajoutant sa petite touche personnelle : l’humour, dont les titres de ses réalisations se font l’écho. Les Bananes Mécaniques (1 million d’entrées en France) et Prenez la queue comme tout le monde en 1973, Q en 1974 (référence au Z de Costa-Gavras), des succès qui lui permettent de sortir Le seuil du vide dans une salle, pour un écho limité. Mais le premier tournant de sa carrière se fera en 1975. Davy produit cette année-là un film de Paul Vecchiali, intitulé Change pas de main. Le réalisateur veut innover, et inclure dans son métrage une authentique scène de partouze. Pour ce faire, le cinéaste et son producteur rencontrent la jeune comédienne Claudine Beccarie, spécialisée dans les doublures corporelles de scènes hard. Frappé par son irrésistible franc-parler, Davy décide de filmer le tournage de ladite séquence (bien avant que le concept de making of n’ait vu le jour) et d’interviewer Beccarie sur son métier. Les rushes confirment l’évidence : Davy tient là un film à part. En plein montage, la responsable de Perspective du Cinéma Français l’appelle et demande une projection du film, en vue d’une potentielle sélection cannoise. À la surprise générale, Exhibition est retenu et commence à prendre une ampleur qui dépasse le jeune réalisateur. L’art est laisséLa projection cannoise déchaîne les passions, le film est sélectionné au Festival de New York, sort sur les écrans français et fait 3 millions d’entrées. Le bonheur tourne court dès 1976, année de mise en vigueur de la Loi X. Exhibition, alors affublé du prestigieux label Art et Essai, sera le premier long métrage “iXé“, stoppant net son exploitation. Plus tard, Davy parviendra à interférer auprès du Cabinet de Jack Lang, à obtenir le déclassement X pour un retour au label Art et Essai. Targué de cette aura culte, Exhibition sera également le premier film pour adultes diffusé le samedi soir sur la nouvelle chaîne cryptée, une décision prise entre deux trous («André Rousselet et François Mitterrand jouaient au golf ensemble, le Président a donné son accord pour la diffusion d’Exhibition pendant l’une de ces parties»). Malgré cette reconnaissance, la Loi X fait déchanter notre homme et ses camarades paillards. Désormais assujetti à des contraintes financières hors normes, le milieu du cinéma érotique se retrouve dans un ghetto, le forçant à réduire drastiquement les frais de tournage, puis finalement à contourner la loi. Deux versions du film étaient généralement tournées : une soft pour la censure, et une hard pour l’exploitation en salles. «Ça a duré des années comme ça. Mais avec l’arrivée de la gauche et de Jack Lang au Ministère, ils sont partis en chasse de ces pratiques, ce qui était assez contradictoire avec l’image de la gauche quand elle est arrivée au pouvoir». Fait suffisamment cocasse pour être signalé, tandis qu’aux Etats-Unis, l’industrie pornographique entretenait des liens avec des structures simili-mafieuses, en France, le porno s’est vu aidé… par la police. «On terminait en garde à vue au Quai des Orfèvres, mais les flics ont très vite compris qu’on n’était pas des voyous. Au bout d’un moment, quand ils faisaient des contrôles, ils nous prévenaient avant».J’aurais voulu être…Les années 80 s’annoncent mal. Jean-François Davy produit des pornos tournés à la chaîne, Exhibition 2 (sur la libertine partouzeuse SM Sylvia Bourdon) sortira odieusement tronqué pour cause “d’atteinte à la dignité de la personne humaine“, ses deux tentatives de films “conventionnels“ (Chaussette surprise et Ça va faire mal) se plantent grave au box-office, sa société dépose le bilan. Mais une nouvelle invention allait lui sauver la mise : la vidéocassette, alors cantonnée au circuit de la location. Davy se lance dans l’édition et fonde Fil à Film sur une idée visionnaire : vendre des K7 aux particuliers. Pour avoir les moyens de se payer les droits de films plus classiques, Davy se constituent un catalogue de films X de qualité, vendus sous le label Prestige Collection. Le succès est immédiat, les revenus croissent d’année en année, Fil à Film acquiert des fleurons du répertoire contemporain mais la boîte ferme au bout de dix ans, du fait de sa gestion chaotique. Avant de retenter l’aventure dans cette même branche, Davy aura été restaurateur, aura créé un labo de développement, une société de doublage, une boîte de pressage de DVDs. Le petit matelas constitué grâce à la société d’édition Opening (créée il y a dix ans) lui aura finalement permis de concrétiser son rêve, ce retour à la mise en scène qu’il attend depuis plus de 20 ans. «Je n’ai jamais cessé d’être impliqué dans le cinéma. L’aventure Fil à Film était une sorte de tournage qui aurait duré 10 ans, où les acteurs étaient remplacés par des commerciaux. Pour les Aiguilles Rouges, j’avais le trac, je me suis rendu compte que la profession se méfiait de moi. Mais je n’ai rien laissé au hasard, je me suis entouré des meilleurs techniciens. Je redémarre avec beaucoup de juvénilité».Jean-François DavyLes Aiguilles rouges, le 10 mai au cinémaDVD : “Coffret Exhibition”, disponible à partir du 21 juin chez Opening

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