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La Bête de guerre
Par Christophe Chabert
Publié Mercredi 13 février 2008 - 3245 lectures
Photo : Millenium Films
Avec John Rambo, Sylvester Stallone termine en force une aventure commencée 25 ans plus tôt, qui aura marqué sa carrière et son image en reflétant ses errements idéologiques et ses égarements artistiques. CC
En 2008, Stallone ressuscite l'autre personnage-phare de sa filmographie, John Rambo. Auteur, réalisateur et acteur, il s'y livre sans compromis, cynisme ou calcul, à une fascinante réflexion qui le ramène au point de départ de la série, dans une boucle parfaite et, pour tout dire, émouvante.Rambo, le premier sang
En 1982, la carrière de Stallone est encore incertaine ; le succès du premier Rocky et de sa suite lui ont permis de tourner dans des films plus difficiles, politiquement engagés comme F.I.S.T. de Norman Jewison ou La Taverne de l'enfer, qu'il réalise lui-même.
Il s'empare alors d'un livre de David Morell, First blood, dont le “héros“ paraît taillé sur mesure pour cet acteur musclé mais empreint d'une certaine fragilité. Il en laisse la réalisation à un cinéaste talentueux et progressiste, Ted Kotcheff. John Rambo revient du Vietnam où il a joué sans état d'âme son rôle de machine de guerre ; il débarque dans une petite ville brumeuse peuplée de rednecks réacs, en espérant y retrouver son frère d'armes, rescapé lui aussi. Tragique ironie, celui-ci a été emporté par un cancer, et Stallone-Rambo passe aux yeux des autorités locales pour un hippie vagabond.
Lors d'un interrogatoire poussé, il pète les plombs et voit rejaillir tous ses instincts guerriers, qu'il exercera à l'encontre d'un shérif bas-du-front et de ses adjoints, provoquant une véritable guérilla dans la paisible bourgade.
Rambo, contrairement aux apparences, n'est pas l'archétype du film d'action tel qu'il régnera ensuite dans l'industrie hollywoodienne des années 80. C'est un survival dans la lignée de ceux qui firent les beaux jours des années 70 (de Délivrance à Sans retour). À ceci près qu'il s'appuie sur une figure encore peu vue à l'époque : le vétéran du Vietnam, tentant de reprendre pied dans une époque et un pays politiquement en crise.
Proche du Travis Bickle de Taxi Driver, John Rambo est inadapté au monde qu'il redécouvre. Comme il le dira lors de sa bouleversante confession finale, parti en héros, il revient en pestiféré ; ceux qui hier l'acclamaient lui crachent dessus aujourd'hui.
Une séquence est restée célèbre : alors que des policiers tentent de l'étrangler, c'est l'image d'un tortionnaire vietcong qui apparaît à leur place. Bête de guerre psychopathe, John Rambo ne défend pas son pays, il se défend lui-même, animal violent luttant partout pour sa survie, chez lui ou à l'autre bout du monde.
Pessimiste, désespéré et bouleversant, ce premier Rambo est un chef-d'oeuvre qui connaîtra un réel succès pour une production encore modeste.Rambo II et III : le triomphe de Reagan et des blockbusters
Trois ans plus tard, quand Stallone entreprend de lui donner une suite (confiée aux soins de l'honnête artisan George Pan Cosmatos), l'Amérique et son cinéma ont effectivement changé. Finis la noirceur, les losers, la rumination des échecs et des défaites ; place aux gagnants, au pognon-roi et à l'optimisme forcené.
Reagan est passé par là, et Stallone lui emboîte le pas sans vergogne, au prix d'un revirement idéologique total de son personnage. Rambo repart au Vietnam avec pour mission de libérer des prisonniers de guerre restés là-bas, mais aussi l'envie manifeste de réécrire l'Histoire en la gagnant, cette putain de guerre.
Triomphe mondial, Rambo II, la mission est le prototype efficace mais politiquement ambigu du blockbuster, nouveau genre apparu dans les années 80 dont la philosophie se résume à “prends l'oseille et tire-toi“.
La recette ayant fait ses preuves, Stallone s'attaque illico presto à un troisième volet. Cette fois-ci, c'est l'Afghanistan qui sera la destination de Rambo ; qu'importe si les Américains n'y ont jamais mis les pieds (comme le montre le récent Charlie Wilson) ; qu'importe que Rambo soit moins doué pour manier la kalachnikov que le couteau de survie ; qu'importe si le premier réalisateur choisi, l'improbable Russell Mulcahy, se fait virer après une semaine de tournage pour cause d'ego plus gros que celui de la star...
Stallone exploite la franchise jusqu'à la lie, avec comme profession de foi la loi du tiroir-caisse et un anticommunisme primaire bientôt rendu caduque par le cours de l'Histoire. Le film est une bouse sans nom, et même le public ne s'y précipite pas, annonçant la traversée du désert que Sly allait subir pendant près de 15 ans.Qui es-tu, John Rambo ?
La poussière de la mémoire et les moqueries incessantes font que Rambo représente aujourd'hui autant la marionnette de Stallone aux Guignols, incarnation du cynisme de l'Amérique républicaine, que cette trilogie bancale.
John Rambo, quatrième épisode tardif, ne dissipera peut-être pas les malentendus.Stallone lui-même n'y tenait pas tellement mais, poireautant sept ans avant que la MGM ne donne son feu vert à Rocky Balboa, il avait signé de guerre lasse pour ce nouvel opus. Une fois Balboa tourné, il ne pouvait plus se défiler, et devait trouver une idée qui rendrait crédible l'image d'un sexagénaire retournant à la guerre.
Il pense d'abord centrer l'intrigue autour du trafic de drogue à la frontière mexicaine. Mais c'est l'envie de raconter l'histoire du point de vue de Rambo lui-même qui finit par le motiver, ainsi que le désir de filmer une guerre civile peu montrée sur les écrans, celle qui ravage la Birmanie. C'est surtout l'occasion de revenir aux fondamentaux du personnage : sa conception de l'existence comme un champ de bataille dérisoire, son nihilisme absolu, son absence de cause à défendre, sa barbarie naturelle. Mais aussi, et c'est peut-être là l'essentiel, sa quête désespérée d'un possible havre de paix, “home“ pour un homme en guerre moralement ruiné et physiquement affaibli. On l'aura compris, 25 ans de Rambo, c'est 25 ans d'Amérique, dans ce qu'elle a de meilleur et de pire à la fois...
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