Le prix à payer

Actualité / Le projet du cinéma Le Méliès sur le futur site de la Caserne de Bonne semblait mener bon train, jusqu’au récent refus de soutien annoncé par la commission d’aide sélective du CNC – le tout dans un contexte national qui ne manque pas de soulever des interrogations. François Cau

Au mois d’août dernier, le projet du cinéma Le Méliès (un équipement de trois salles et 520 fauteuils au cœur du nouveau quartier de Bonne) franchissait une étape décisive. La Commission Départementale d’Équipement Cinématographique, instance de régulation chargée de vérifier la validité du projet (en termes de concurrence et de suréquipement potentiels, notamment), a traité le dossier et l’a validée de façon administrative sur le fond, conséquence d’un rapport favorable de la Direction Régionale des Affaires Culturelles. «C’est un gros dossier, en gestation depuis plusieurs années, qui a eu de nombreux allers-retours entre les services de la Ville, le Centre National de la Cinématographie, les services de la DRAC. Tous ces protagonistes ont abondé à la fois au calibrage du dossier et au montage financier. Le dossier a été validé de manière administrative par la CDEC, c’est ce qui compte pour nous. Il a été entériné, et admet un travail spécifique, accompli sur Grenoble depuis 1967. Le dossier pour l’aide sélective du CNC a été pensé et monté dans cet esprit-là» évoque Bruno Thivillier, Directeur du cinéma Le Méliès. Le 26 janvier, la Commission d’Aide Sélective à la Création et Modernisation de Salles fait connaître son avis, négatif. Le procès-verbal de la décision devrait être communiqué au Méliès dans les semaines à venir, une fois que la Direction Générale du CNC l’aura confirmé.«Un frein réel»Concrètement, c’est un manque de 300 000 euros dans le financement que cet avis entraîne. Bruno Thivillier prend acte de cette décision, qu’il juge être «un précédent dans l’histoire de la commission, dont la nature idéologique, dans un contexte ultralibéral, remet en cause le principe même de ladite commission. Pour nous, c’est un frein réel, mais pas un obstacle majeur, on reste actif dans la concrétisation du projet». Nicole Delaunay, du Service de l’Exploitation du CNC, tient à préciser que «le travail du Méliès est unanimement reconnu par les membres de la commission. Ce qui a fait débat, c’est le coût de l’opération, et le fait qu’on ne se trouve pas dans une zone insuffisamment desservie, qui est un critère clé de la commission». Pour Jérôme Safar, Adjoint à la Culture à la Mairie de Grenoble, la pilule du refus a du mal à passer, tout comme les arguments évoqués par Nicole Delaunay. Il réfute les dires de cette dernière lorsqu’elle affirme avoir mis en garde les parties prenantes lors d’une réunion en 2006 sur le caractère onéreux du projet. «C’est totalement faux. Officiellement, nous n’avons eu aucun écho du CNC quant au surcoût éventuel du dossier, et très sincèrement on n’a jamais demandé au CNC d’en financer l’intégralité, donc il faut arrêter de prendre les gens pour ce qu’ils ne sont pas». C’est la parole de l’une contre la parole de l’autre, et chacun se déclare prêt à plaider sa version en contentieux. Patrick Brouiller, Président de l’Association Française des Cinémas d’Art et d’Essai, qui soutient ardemment le projet depuis ses prémices, relève tout de même que «dans ce genre de situations, on demande aux initiateurs du projet de reporter la présentation, de voir si on peut diminuer les coûts, démarche que la commission n’a manifestement pas effectué. Le dossier a été retoqué, sans possibilité de donner suite. Et pour le critère de zone insuffisamment desservie, ça n’a pas de sens, en milieu urbain, on ne peut pas diviser le nombre de fauteuils par le nombre d’habitants».Mauvais climatIl faut préciser que cette décision tombe au beau milieu d’un contexte cinématographique national on ne peut plus troublé, qui explique en partie les suspicions quant à son bien-fondé. Jérôme Safar n’en démord pas. «Je ne suis pas plus bête qu’un autre, je lis la presse, j’entends la radio, il y a les histoires de recours du groupe UGC contre le Méliès à Montreuil ou contre le Comœdia à Lyon, et d’autres dossiers, partout. On a aujourd’hui une attaque en règle de la part des majors – alors que dans beaucoup de ces mêmes collectivités, ces majors ont été aidés quand il a fallu mettre en place la politique d’implantation des multiplexes. Qu’aujourd’hui ils parlent de concurrence déloyale, ça me fait doucement rigoler. Il y a des pressions nationales, on peut me raconter ce que l’on veut, mais ces pressions portent leurs fruits : on veut culpabiliser les élus locaux dans leur soutien de projets qui n’ont rien de commerciaux. Là, il y a une vraie dérive. Ce qu’il faut aussi avoir en tête, c’est que si ce projet est planté, c’est une politique globale qu’il faut revoir. Vous savez qu’il y a un autre projet sur le site Bouchayer, du cinéma de qualité grand public avec de la VOST accessible. Si aujourd’hui on était planté sur le dossier du Méliès, il faudrait repartir à zéro sur l’ensemble du dossier cinéma». De son côté, Nicole Delaunay réfute ces arguments, comme le caractère inédit d’une telle décision (au gré d’un examen détaillé des dossiers a priori comparables traités sur les deux dernières années). Patrick Brouiller s’inquiète cependant de ses conséquences. «Si je mets en correspondance la décision de la commission avec ce que disent certains représentants des grands circuits, on est en droit d’être inquiet, d’espérer qu’il n’y ait pas jurisprudence. Si tel était le cas, ce serait tout de même 25 années de politique d’aménagement culturel et social qui peuvent être remises en cause». La ville de Grenoble a sollicité la Région et le Département pour retravailler un plan de financement d’ici avril, une fois les municipales passées, et en attendant le procès-verbal du CNC dont, selon Patrick Brouiller, «beaucoup de monde, moi le premier, sera curieux de connaître le contenu».

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