La jungle des enfants perdus

Cinéma / Avec “Vinyan“, Fabrice Du Welz emmène le spectateur dans un voyage cinématographique éprouvant, inattendu et sensoriel, pour un film limpide, fort, marquant, le meilleur de cette rentrée. Christophe Chabert

Des vagues qui s’échouent. Bruit lointain, répétitif, insistant. Un écran presque noir, traversé par quelques bulles. L’eau vire au rouge, les bulles se transforment en cellules sanguines, les vagues s’intensifient jusqu’à n’en former qu’une seule, remplissant tout l’espace sonore. Puis ce n’est qu’un long fracas sonore, un bruit blanc saturé, alors qu’on croit distinguer à l’image une femme à la chevelure flottant sous l’eau. Le spectateur suffoque, suppliant presque qu’on le sorte de là. Puis Vinyan commence vraiment : Jeanne (Emmanuelle Béart) sort de l’eau en bikini ; son mari Paul (Rufus Sewell) la regarde avec un sourire plus triste que complice. Avec ce prologue expérimental mettant les nerfs à rude épreuve puis cette scène anodine et muette, Fabrice Du Welz a à peine ébauché son deuxième long métrage et déjà, il a emporté le morceau… Vinyan ne sera pas, comme son précédent film, un splendide Calvaire, mais une expérience sensorielle accompagnant deux humains à la dérive après le drame par excellence : la perte d’un enfant.Vague de fond
Le Tsunami est passé par là, mais le couple est resté en Thaïlande. Un soir, invité à une soirée de charité pour récolter des fonds afin de construire un orphelinat, Jeanne croit reconnaître son fils sur un film de promotion. Vivant. Perdu dans la jungle, mais vivant. Le reste du film racontera cette recherche désespérée, sur la corde raide, et emmènera personnages et spectateurs vers l’inconnu. La première partie de Vinyan retarde pourtant cette plongée dans l’imaginaire : le couple s’égare dans les rues de Bangkok, cherchant un passeur mafieux pour se rendre jusqu’à la frontière birmane, là où les enfants sont enlevés et séquestrés. Ce Bangkok pluvieux, nocturne, avec des boîtes à strip-tease sur fond de techno assourdissante, un monde urbain et hostile, Du Welz le filme caméra à l’épaule, quelque part entre les frères Dardenne et Gaspar Noé au début d’Irréversible (Benoît Debie est le chef opérateur des deux films, d’ailleurs). Cet ultra-réalisme claustrophobe est comme le premier palier d’une descente aux enfers qui investira ensuite un autre environnement. Hostile, toujours. Il marque aussi la première fissure dans le couple : Paul suit Jeanne sans vraiment la croire, accompagnant par amour cet espoir insensé. La deuxième partie du film, la plus contemplative, très belle quoique moins spectaculaire, verra le couple gagner de l’épaisseur, exister et résister aux épreuves, désillusions et mauvaises rencontres sur son chemin.Mater dolorosa
La force de Du Welz, qui permet à Vinyan d’être autre chose qu’un simple exercice de mise en scène tourné par un cinéaste aux références évidentes, tient beaucoup à cette capacité à laisser vivre ses protagonistes, les observer avec une réelle tendresse et croire dans leur complicité. Le couple Béart-Sewell, deux excellents acteurs rarement aussi bien servis, y est pour beaucoup. Grâce à eux, la métaphore de Vinyan peut apparaître, limpide, dans un dernier tiers incroyable, hallucinant car littéralement halluciné. Dans cette jungle des enfants perdus va se rejouer l’éternel affrontement homme-femme : l’instinct maternel, associé à d’autres instincts «primitifs», va prendre le dessus sur la distance sceptique de l’homme. Jusqu’à une image démente où Du Welz montre littéralement que dans le ventre de l’homme, il n’y a rien, que des boyaux incapables de donner la vie. Provoquant, ce discours vient naturellement s’inscrire dans la chair des plans, dans sa bande son hyper-réaliste, dans son décor organique, dans ses visions effrayantes et ses excès baroques. Du Welz renvoie l’être humain à sa sauvagerie première, et observe la redistribution des rôles dans ce nouveau règne animal. On ne dira rien de la conclusion, sublime, de ce film magnifique et intransigeant ; mais elle tordra définitivement le cou à ceux qui voyaient le cinéaste en nouveau chancre du gore francophone. C’est surtout un grand cinéaste romantique !Vinyan
de Fabrice du Welz (Fr-Ang-Belg, 1h37)
avec Emmanuelle Béart, Rufus Sewell...

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