L'imaginaire au pouvoir

À l’occasion de la sortie de "L’Imaginarium du Docteur Parnassus", portrait du plus obstiné des cinéastes de l’imaginaire, des délires de Monty Python aux galères de Don Quichotte… Christophe Chabert

L’œuvre de Terry Gilliam commence par des dessins découpés et animés sommairement, et s’achève (provisoirement) par un petit théâtre de marionnettes manipulées grossièrement dans la rue. La boucle est bouclée, se dit-on. Lui aussi, d’ailleurs. « Quand j’ai fini L’Imaginarium du Docteur Parnassus, je me demandais vraiment ce que j’allais faire après » dit-il lors de la conférence de presse donnée à Lyon au lendemain de la présentation du film. « Il fallait trouver un projet avec lequel je pouvais avoir autant de plaisir, qui exprimerait aussi bien ma vision du monde. J’ai repris Don Quichotte, et je me demande ce qu’il va être. Le film grandit tout seul, comme quelque chose d’organique, avec sa vie propre… » Gilliam revient donc sur les lieux du crime, ce tournage apocalyptique et ce film inachevé qui a scellé (avec l’aide du documentaire Lost in la mancha, un « unmaking of » stupéfiant) son image de cinéaste maudit. Une étiquette qui l’a poursuivie ensuite, jusque sur le tournage de Tideland (2005) où il en est encore à se lamenter sur les tuiles (pourtant très ordinaires) qui lui tombent dessus. Mais Gilliam a changé, et entend bien le faire savoir : malgré le décès de Heath Ledger pendant le tournage de Parnassus, il affiche un optimisme nouveau : « Les choses n’ont pas forcément tourné comme je l’aurais voulu, mais ce n’est pas une question de mauvais choix ; c’est la main du destin. »

L’imaginarium du cinéaste Terry

La main du destin ? On se souvient que, dans les animations de Sacré Graal (1974), un des films qu’il a tournés avec Monty Python, Dieu vient régulièrement donner un coup de main (et pas mal de coups de pied) aux protagonistes. Sans parler de La Vie de Brian (1979), qui raconte carrément l’enfance d’un Christ anglais aux fraises. Quant au Sens de la vie (1983), le titre même du film dispense de tout commentaire. Gilliam aurait-il des tendances mystiques ? Osons émettre cette hypothèse : ce qui l’intéresse, dans cette vision déterministe de l’existence, c’est l’idée d’un grand ordonnateur qui tirerait nos ficelles et qui ressemblerait beaucoup… à un cinéaste ! Le cinéma de Gilliam est de ce côté-là, celui de l’imaginaire, de la magie et de la poésie ; c’est un enfant de Méliès plutôt que des frères Lumière.

Les Aventures du Baron de Munchausen (1988) repartait ainsi de l’origine foraine de son art, débutant dans un théâtre avec des effets spéciaux mécaniques et visibles, pour mieux s’échapper ensuite au grand air vers un spectacle d’illusions purement cinématographiques. Le lien entre les deux ? L’envie de fables et d’histoires extraordinaires. Tous les personnages des films de Gilliam ont ce besoin d’échapper à la réalité, par le rêve (Brazil, 1985), l’idéal (Fisher King, 1991) ou la drogue (Las Vegas Parano, 1998). Dans sa version noire, cette évasion onirique permet de fuir l’horreur, même si elle finit par nous rattraper — c’est ce film malade, insupportable ou fascinant, qu’est Tideland. Au bout du rêve, le cinéma de Gilliam trouve son point de synthèse dans la belle idée d’un « imaginarium » : non pas une machine à produire de l’image, mais la matérialisation d’un imaginaire enfoui que le créateur libère chez ceux qui en franchissent la porte.

Citizen Gilliam

On dit souvent de Gilliam qu’il est un cinéaste visionnaire. Terme double qui désigne à la fois sa capacité à exprimer sur l’écran ses visions personnelles et de prophétiser l’avenir. Brazil, par quelque sens qu’on le prenne, est un immense film visionnaire. Cette libre adaptation de 1984 transposée dans un futur bureaucratique, totalitaire et rempli de « conduits » pose des questions toujours pertinentes 25 ans après sa réalisation. Gilliam le souligne avec humour : « Quand j’ai fait la promo de Tideland, j’ai promis de faire un procès à George Bush et Dick Cheney pour avoir pillé les droits de Brazil ! »

Cette angoisse du futur se retrouve dans un autre grand film de Gilliam, L’Armée des 12 singes (1995). Cette fois, c’est La Jetée de Chris Marker qui lui sert de base, mais Gilliam en fait un film sur le danger des utopies collectives. Chez le cinéaste, le futur ne fait pas rêver, et la science-fiction n’est pas son domaine ; il y préfère la fiction intime, quotidienne et personnelle. C’est pourquoi les héros de Gilliam sont des solitaires, en marge du monde dans lequel ils vivent, inadaptés aux codes sociaux qui les entourent. Ce sont tous des Don Quichotte luttant pour conserver le petit bout d’espoir auquel ils s’accrochent. Gilliam choisit de leur donner raison et de leur offrir le salut, que ce soit littéralement (Fisher King, Munchausen, Parnassus) ou plus ironiquement. L’image la plus forte de toute son œuvre est celle qui conclue Brazil : un homme attaché qui chantonne le sourire aux lèvres, entravé par le système mais libéré par l’imagination.

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