Shutter island

Martin Scorsese adapte le thriller de Dennis Lehane, retrouve Leonardo Di Caprio et confirme son nouveau statut, unique à Hollywood, de cinéaste de studio personnel et audacieux. Christophe Chabert

La brume se lève sur Shutter island, un matin de 1954. Un bateau s’apprête à accoster avec à son bord deux détectives, Teddy Daniels et Chuck Aule, appelés pour une enquête mystérieuse : sur cette île au large de Boston où l’on soigne des criminels atteints de déficience mentale, une des patientes a disparu sans explication. Au fil de sa plongée dans l’univers oppressant de Shutter island, Teddy Daniels va voir ressurgir les traumas de son passé… Le dernier film de Martin Scorsese suit ainsi avec fidélité les méandres du roman éponyme de Dennis Lehane, et ce jusqu’à son twist final. Les lecteurs du bouquin en seront quitte pour l’effet de surprise, mais ceux qui ne le connaissent pas risquent aussi de deviner assez vite le pourquoi du comment tant Scorsese, cinéaste tout sauf roublard, se refuse à perdre le spectateur dans un labyrinthe de fausses pistes. Qu’importe à vrai dire ce relatif manque de suspense sur le long cours de l’intrigue : Shutter island est malgré tout un film passionnant et, c’est sa force, extrêmement prenant.

Île-cerveau

Car Scorsese transforme le décor de l’île en circuit mental que le personnage explore comme s’il se déplaçait dans son subconscient. Plus que le genre — le thriller horrifique — c’est donc au film-cerveau que le cinéaste se frotte. Scorsese sait qu’en la matière, il va devoir affronter deux grands maîtres : Roman Polanski et Stanley Kubrick. Les leçons de Polanski se retrouvent dans l’ambiance de paranoïa qui fait la force du début. Quant à Kubrick, c’est évidemment son Shining qui sert de ligne de mire au film tout entier. Que ce soit dans ses flashbacks oniriques ou dans l’utilisation virtuose de la musique contemporaine pour la bande-son, Shutter island est littéralement hanté par le souvenir de Shining, notamment lors des grandes scènes d’effroi du film, où l’horreur surgit en une série de visions particulièrement glaçantes — de la libération des camps à ce prisonnier au visage tuméfié et difforme. En fin de compte, le récit revient comme une spirale vers les traumas de Teddy, incarné par un Di Caprio très impressionnant, rongé par ses démons mais encore capable de charme et d’humour. Si, après Aviator et Les Infiltrés, Scorsese semble avoir fait le deuil de son rôle d’auteur, il conforte sa place de super-cinéaste de studio, investissant tous les genres afin d’en livrer des œuvres de référence. Shutter island ne réitère pas complètement la démonstration de force des Infiltrés, mais renvoie toutefois la concurrence à ses chères études par son brio formel, son efficacité et la teneur de son propos.

Shutter island
De Martin Scorsese (ÉU, 2h17) avec Leonardo Di Caprio, Mark Ruffalo, Ben Kingsley…

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