Kaboom

Comédie sexuelle adolescente mêlant fantastique, apocalypse et parabole œdipienne, "Kaboom", le nouveau Gregg Araki, est un réjouissant essai de post-cinéma empruntant aux séries télé, aux comic books et à la contre-culture. Christophe Chabert

Kaboom n’est pas le meilleur film de l’année, ni même le meilleur de son auteur (la place est bien tenue par Mysterious skin ou, dans un registre plus punk, par The Doom generation) ; mais c’est sans doute la proposition cinématographique la plus contemporaine et vivifiante de 2010. Comme si Araki, un peu malgré lui, avait réussi à synthétiser dans cet objet fier d’être mineur (ce qui ne le rend pas dispensable pour autant) les questions qui se posent et s’imposent aux cinéastes d’aujourd’hui : comment raconter une histoire en quatre-vingt-dix minutes là où les séries disposent de plusieurs heures pour ménager mille rebondissements dans le stock de personnages et d’intrigues qui constitue leur carburant narratif ? De quelle façon gérer le triomphe du numérique sans tomber dans l’hystérie de la nouveauté technique ou, à l’inverse, se recroqueviller sur le classicisme du siècle dernier ? Enfin, comment parler de ce qui est là, tout près, en lui donnant des allures mythologiques ?

Cinéma : RIP

Ce n’est pas un hasard si Araki annonce par la voix-off de son personnage, le beau et paumé Smith, la mort du cinéma. Il le fait sur des images d’Un chien andalou, notamment celle de l’œil tranché au rasoir, comme si le regard et les habitudes du spectateur devaient être mutilés d’entrée pour apprécier ce qui va suivre. Tourné dans une HD très voyante, monté avec des trucs chopés sur Final Cut dignes d’un apprenti vidéaste, parsemé d’effets spéciaux à la ringardise assumée, inondé de pop music comme un IPod mal éteint, Kaboom piétine allègrement le bon goût cinématographique, quand il ne se moque pas du bon goût tout court — le film, à l’origine, était une idée de John Waters, nous dit-on… Car, dans ses premiers épisodes — le scénario est écrit comme une série télé, avec cliffhangers et fondus au noir toutes les vingt minutes — on se contente de suivre les émois sexuels d’une poignée de teenagers sur un campus irréaliste, d’un dortoir trop propre à une cafétéria aux murs noirs comme une salle de concert gothique. Si ces adolescents sont plutôt mal dans leur tête, ils sont franchement bien dans leur corps, aussi immatures dans leur comportement que calés sur les différentes manières de faire jouir leur partenaire. Cette sexualité débridée est rattrapée par des événements qui la troublent à peine : des types bizarres avec des masques d’animaux assassinent une fille sans vraiment provoquer de psychose, une jeune lesbienne sexy peut s’avérer une sorcière et un messie fumeur de marijuana découvre un message sibyllin adressé à Smith («tu es l’élu»), qui retourne de ce pas se taper un réparateur de jacuzzi sur une plage naturiste. Araki fait comme si ses personnages connaissaient les codes de ce type de récit par cœur, ce qui lui permet d’aller très loin dans l’outrance joyeuse et le n’importe quoi. L’important, c’est de ne pas être mélancolique.

(Gang) Bang !

Car Kaboom n’a rien de crépusculaire, même s’il se résout dans son dernier épisode par une brutale accélération de l’intrigue conduisant à rien moins que la fin du monde. C’est là où le film est tout bonnement fascinant : on peut lire cette conclusion littéralement, comme une façon de ne pas savoir conclure sinon en envoyant tout dans le décor. Mais on peut aussi y lire l’adieu enjoué à un âge, l’adolescence, avec son lot de névroses œdipiennes, sa découverte hallucinée de tous les excès et sa nonchalance glandeuse. Le film s’ouvre d’ailleurs sur un rêve où le personnage, métaphoriquement, franchit la porte de ses 19 ans… Et si, plutôt que de célébrer la fin du cinéma, Araki célébrait sa sortie de l’adolescence dans un grand (gang) bang ? Et après ? Après, il y a déjà Kaboom, merveilleux projet de post-cinéma.

Kaboom
De Gregg Araki (Fr-ÉU, 1h25) avec Thomas Dekker, Juno Temple, Roxane Mesquida…

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