«Un geste de solidarité»

Jonathan Nossiter, cinéaste, a fait de Rio, la ville dans laquelle il vit depuis cinq ans, le cadre de son retour à la fiction, pour un film placé sous le signe de la liberté absolue. Propos recueillis par Christophe Chabert

Petit Bulletin : Pourquoi avoir attendu plus de dix ans avant de tourner une nouvelle fiction après Signs and wonders ?
Jonathan Nossiter : Ça brûlait en moi. Je suis un amoureux des comédiens et j’avais développé avec certains une amitié profonde. Mondovino était un projet qui devait me prendre deux ou trois mois entre deux fictions. Mais le film m’a kidnappé, ou plutôt c’est la complexité et la profondeur des vignerons qui m’ont kidnappé. Du coup, Mondovino a pris quatre ans de ma vie. Mais pendant sa sortie, je me suis retrouvé avec des comédiens amis de longue date pour savoir quel genre de film on pouvait faire ensemble. De ces discussions est né Rio sex comedy.

Cependant, Rio sex comedy a aussi une très forte part documentaire, jusqu’à brouiller les frontières avec la fiction…
Tant mieux. C’était le but. Moi-même, aujourd’hui, j’aurais du mal à dire ce qui relève de l’un ou de l’autre. J’ai intégré le documentaire à la fiction de différentes manières, si bien que pendant des discussions avec les spectateurs, j’essayais de parler de scènes de pure fiction, mais je retombais toujours sur le réel. Dans ces scènes, il y a la vie du comédien, ma vie, et ce qu’on a vécu ensemble en travaillant sur le film.

En quoi consistait le scénario au début du tournage ? A-t-il évolué au fil des jours ?
L’idée de départ est venue quand je suis allé vivre au Brésil il y a cinq ans. Ensuite, j’y ai ajouté ce que je savais des comédiens avec qui je voulais travailler. Puis ce sont eux qui sont venus à la rencontre du Brésil tel qu’il se présente à leur personnage : Charlotte Rampling a rencontré des chirurgiens esthétiques, Irène Jacob des nounous. Même après ça, le scénario laissait de la place pour les accidents de la vie. De toute façon, ce film appartient aux comédiens, au sens propre du terme : il n’y a pas de producteur, nous sommes tous co-propriétaires à part égale du film. C’est un film de liberté et nous avons inventé un système économique qui respecte cette liberté. Sa construction économique, sociale, politique et artisanale est un geste de solidarité. Tout le monde a été payé pareil, il n’y avait pas de maquilleur, de coiffeur, de scripte. Les acteurs sont venus avec leurs costumes dans une valise, ils les repassaient le matin du tournage.

En quoi peut-on dire qu’ils sont dans leur propre rôle ?
Cela touche à leur intimité. Par exemple, Irène m’avait raconté qu’elle avait croisé des SDF le matin dans son quartier et qu’elle se demandait ce qu’elle pouvait faire pour eux. Ce n’était pas du narcissisme, elle me parlait de l’hypocrisie qu’elle ressentait en tant que bourgeoise face aux problèmes sociaux. De cette conversation a surgi son personnage. Quant à Charlotte, j’ai toujours trouvé drôle son rapport à son image ; elle n’a pas de fausse humilité vis-à-vis de sa beauté, c’est une vraie artiste qui utilise son corps, sa voix. D’où l’envie de l’envoyer à Rio, la capitale de la chirurgie esthétique. Je lui avais posé cette question frontale, cette question de petit garçon : est-ce que c’est un fardeau pour toi d’être belle ? Elle a simplement rigolé en disant cette phrase intraduisible : «You can’t get away with murder».

Sur la bande-son, vous utilisez des morceaux venus de la musique tropicaliste. Peut-on dire que votre mise en scène, très libre, très éclatée, très pop, est tropicaliste ?
Ce n’est pas un film bossa-nova en tout cas. On pourrait dire qu’il y a un côté tropicaliste, mais… Je n’aime pas les étiquettes, et le Brésil n’aime pas les étiquettes non plus. C’est comme quand on demande à un Brésilien s’il est noir ou blanc. Ma femme a la peau blanche, mais quand on la regarde, on voit qu’elle a des traits métissés. Pour répondre à votre question sur le tropicalisme, je dirais que le film est surtout «viniste». La liberté de forme m’a été inspirée par la liberté des vignerons, par leur rigueur et leur spontanéité.

Le film est un film-choral, mais il est l’antithèse de ce que peut faire un Iñarritu, où tous les personnages sont reliés par un scénario écrasant…
Oui, c’est l’inverse de ce genre de geste hollywoodien faussement fédérateur. Les correspondances entre les personnages ne doivent pas être imposées, et je ne me suis pas demandé comment mettre ensemble tous ces gens. Ce n’était possible que par un geste viscéral entre moi et les comédiens, puis par un geste viscéral envers les personnages qu’on a créés ensemble. Nous vivons un moment tellement noir où nous subissons le formatage venu de la télévision, du cinéma, de la politique… Ce que l’on perd, c’est la liberté. C’était l’esprit de ce film : faire un geste solidaire pour donner une sensation de liberté au spectateur.

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