Cannes, keep on rockin' !

Après un début en demi-teinte, le Festival de Cannes 2011 a passé le turbo avec des films qui envoyaient du bois, signe d’un cru en nette amélioration par rapport à l’an dernier. Avec, cerise, sur le gâteau, deux films hors norme : Tree of life et Pater. Christophe Chabert

À trois jours du palmarès, Cannes 2011 a gagné son pari : rétablir son statut écorné par une édition 2010 calamiteuse. Cela s’est joué à peu de choses, car on a cru un temps que le festival allait retomber dans ses travers, notamment quand Aki Kaurismaki et Naomi Kawase ont présenté des films bâclés, étriqués, indignes formellement et pathétiques dans leur propos (Le Havre et Hanezu). Mais ces mauvaises surprises sont restées marginales dans la compétition. Même Un certain regard, qui avait démarré piano (avec notamment un suicide artistique spectaculaire de Bruno Dumont, dont le Hors Satan relève du craquage intégral, et s’avère le plus mauvais film vu ici cette année), a fini par balancer quelques uppercuts salutaires (la révélation L’Exercice de l’État, l’autre grand film politique français du festival avec le Cavalier, un Hong Sang-Soo sympathique — The Day he arrives et un film roumain de haute tenue — Loverboy). Quant à la Semaine de la Critique, elle fut marquée par le puissant Take Shelter de Jeff Nichols, soufflante plongée dans la psyché angoissée de l’Amérique, et le premier film de Justin Kurzel, Snowtown, où un fait-divers ayant traumatisé l’Australie se transforme en une œuvre brutale, dérangeante dans ses images et dans son point de vue.Kurzel a réveillé la Croisette par la violence avec laquelle il dépeint une milice de justiciers dégénérés qui utilisent la torture pour éliminer les supposés pédophiles de leur quartier. Mais ce n’était qu’un début…Les nerfs à vif
Nicolas Winding Refn, cinéaste danois ayant gagné ses lettres de noblesse avec la trilogie Pusher et le fracassant Bronson, tentait une deuxième fois l’expérience américaine (après Inside job, qu’il rienie). Emmené par un Ryan Gossling impressionnant de minéralité butée, Drive est un hommage franc et direct au cinéma américain des années 80, et plus particulièrement à Friedkin et Michael Mann. À la limite du pastiche nostalgique, Winding Refn emporte le morceau par la rigueur de sa mise en scène et par un jusqu’auboutisme très rock’n’roll dans ses scènes d’action. Fast and Furious 5 et son matérialisme décérébré peuvent aller se rhabiller ! Plus étonnant, Pedro Almodovar, qui faisait ronronner son cinéma depuis quelques années, vient de lui offrir un sacré lifting avec La Piel que habito. En s’aventurant vers le cinéma de genre, le cinéaste espagnol donne à son univers des accents beaucoup plus inquiétants, sinon pervers, mais il le fait avec une assurance sans faille, un plaisir communicatif que la prestation impeccable des deux acteurs principaux (Banderas et la sublime Elena Anaya) souligne comme une évidence. Grand film, qui devrait trouver sa place au Palmarès et peut-être mettre fin à la guigne d’Almodovar depuis Tout sur ma mère. En séance de minuit, Dias de gracia, premier film du Mexicain Evaristo Gout, ne faisait pas dans la dentelle : centrifugeuse à images qui ferait passer Tony Scott pour un contemplatif, ce monument bourrin et ultra-violent n’était qu’une récréation mainstream, mais il remplissait parfaitement son rôle. Tout cela a participé à casser le cliché tenace d’un festival à l’auteurisme inaccessible pour le commun des mortels. Non, à Cannes, on voit aussi des films divertissants, et c’est cet équilibre-là qui lui donne tout son sens.Dieu, le Père et le Président
Mais si on va à Cannes, c’est aussi pour se prendre en pleine poire de vraies déflagrations esthétiques, des œuvres hors norme qui repoussent les frontières du cinéma. À ce titre, l’édition 2011 fut exceptionnelle puisque ce n’est pas un, mais deux films qui ont assuré cet exploit. On ne parle pas de Melancholia, nouvelle déception de la part d’un Lars Von Trier visiblement en crise d’inspiration, mais de Tree of life de Terrence Malick et du Pater d’Alain Cavalier. Tout oppose a priori la fable liturgique, symphonique et cosmique de l’Américain, et le jeu de rôles politiques entre le cinéaste français et son acteur (génial) Vincent Lindon. D’un côté, le rêve d’un cinéma total à la recherche d’une sidération permanente du spectateur (ce que le film réussit à notre sens) ; de l’autre, l’utopie d’un film artisanal qui se fabrique au jour le jour avec le strict minimum (une caméra et de la mise en scène). Si Malick a réalisé son œuvre la plus complexe et personnelle, Cavalier signe son film le plus accessible, le plus libre et le plus fou. Tree of life navigue génialement entre l’nfini et l’intime, entre la création du monde et le souvenir de l’enfance ; Pater réécrit avec sincérité et ironie notre histoire politique contemporaine puisqu’un Président (Cavalier) et son Premier ministre (Lindon) font l’expérience improvisée du pouvoir, ses grandes idées et ses renoncements. Mais les deux se rejoignent brièvement dans un même questionnement angoissé : la figure de l’autorité (Dieu, le père, le Président de la République) est-elle une forme de terreur que l’on finit par reproduire, ou contre laquelle on se construit dans un geste d’opposition libre et radicale ? Quand les deux extrêmes du cinéma finissent par se confondre à ce point, on peut parler de miracle cannois. Espérons que le jury sera sensible à cette grâce-là…

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