La guerre des moutons

Cinéma / Précipitée par une avalanche de bons films en août, la rentrée cinématographique s’offre comme un concentré limpide de la production actuelle, entre projets couillus et formules de studios, comme l’illustre la déjà triste affaire de la guerre de La Guerre des boutons. Christophe Chabert

D’ordinaire, pour débuter la rentrée, il faut pousser quelques exclamations de joie et de bonne humeur. C’est vrai que c’est beau, la rentrée, toutes ces promesses de grands films faits par des réalisateurs intelligents, avec des histoires originales, des acteurs talentueux… Mais là, la rentrée cinéma nous accueille avec des culs de bus et des colonnes Morris placardées d’affiches mettant en scène non pas l’habituel défilé de longs-métrages alléchants, mais la rivalité absurde et pathétique entre deux films sortant à une semaine de distance et portant (presque) le même titre. C’est la guerre de La Guerre des boutons, qui faisait déjà ricaner le monde entier à Cannes ; devenue réalité à l’orée de ce mois de septembre, elle ressemble au cauchemar d’un responsable marketing interné à l’asile. Du coup, plus question de se taire, sous peine d’être reconnu complice de la mascarade : tout cela n’a plus rien à voir avec le cinéma, et on aurait voulu révéler au grand jour les pratiques agressivement mercantiles de la production française actuelle, on ne s’y serait pas mieux pris. Car vouloir faire une nouvelle adaptation du livre de Louis Pergaud, après celle toujours regardable d’Yves Robert, c’est déjà ne pas avoir plus d’idées qu’un executive hollywoodien. Mais en faire deux, franchement… La première (à sortir) est signée Yann Samuel, réalisateur du nullissime L’Âge de raison, probablement recruté sur la foi de son tout petit savoir-faire en matière de poésie puérile, et qui a tout de même eu droit à du lourd pour ses acteurs (Seigner, Elmosnino, Chabat…) ; la seconde vient de Christophe Barratier, auteur des Choristes et du correct Faubourg 36, qui devrait être dans son élément avec cette reconstitution rétro des chamailleries entre deux bandes de gamins provinciaux, surtout qu’il y a incorporé son casting habituel, Jugnot et Kad Merad, plus Guillaume «Petits mouchoirs» Canet. Les deux, tournés et post-produits à la vitesse de la lumière pour griller la politesse à son voisin, visent évidemment les millions de spectateurs du Petit Nicolas, à moins que ce ne soit les fans d’un autre Nicolas et sa vision schizo d’une France idéalisée dans un formol nostalgique mais qui doit tout faire comme les Américains sous peine de crever la bouche ouverte. Peut-être est-ce déjà faire trop de cas de l’histoire ? Peut-être nous prend-on juste pour des jambons ? Cela étant, on aimerait bien savoir combien de spectateurs, même munis d’une carte illimitée, iront voir coup sur coup les deux films, sinon pour jouer au jeu des sept erreurs. On imagine déjà les dialogues à la sortie : «— Tu as préféré lequel ? — Moi ? Le premier ! — Ah, non, moi, le deuxième. — Bon, Quick ou Mac Do ?»Du cinéma couillu
Aussi étonnant que cela puisse paraître, il n’y a pas que des producteurs derrière cette rentrée, mais aussi des cinéastes, et des bons. Ce n’est pas le meilleur film de l’année, même pas du trimestre, mais c’est incontestablement celui qui donne le plus envie de croire que le cinéma a encore de l’avenir : Drive de Nicolas Winding Refn réussit l’exploit de rendre au cinéma d’action une âme et un regard, en étant à la fois ultra-sexy, ultra-intelligent, ultra-stylisé et ultra-excitant. Winding Refn, jamais aussi à l’aise que lorsqu’un acteur lui apporte une commande et lui donne son entière confiance pour la mener à bien, a magnifié l’impeccable Ryan Gosling comme il avait fait exploser Tom Hardy avec Bronson. Gosling, véritable star de cette rentrée, est aussi le héros du quatrième film réalisé par George Clooney, Les Marches du pouvoir, fiction politique dans la lignée de son Good night and good luck d’excellente mémoire. De politique, il sera aussi question dans un film français remarquable, quelque part entre State of play (la série) et Jacques Audiard : L’Exercice de l’État. Olivier Gourmet y campe une sorte de Jean-Louis Borloo, ministre tiraillé entre sa carrière et ses idéaux, entre l’attraction médiatique (une directrice de la communication jouée par Zabou Breitman) et la continuité de son engagement (un chef de cabinet magistralement incarné par Michel Blanc). Puissant, tendu, rapide, toujours crédible, souvent surprenant, le film de Pierre Schoeller fera l’événement fin octobre. Politique toujours, L’Ordre et la morale est un peu le film de la dernière chance pour Mathieu Kassovitz après ses errements hollywoodiens (Gothika et le fiasco renié Babylon A.D.) : il y reconstitue le drame de la grotte d’Ouvéa en Nouvelle-Calédonie, sinistre épisode ayant marqué la campagne présidentielle de 1988. Politique enfin, Polisse de Maïwenn, auréolé d’un généreux prix du jury au dernier festival de Cannes, va faire gloser les news magazines, mais on discutera largement sa forme, qui cherche à fictionner de manière hystérique et répétitive le quotidien d’une brigade de protection des mineurs sortie d’un épisode de Zone interdite. Ladite brigade héberge heureusement un Joey Starr génial, dont la prestation sauve littéralement le film de l’insignifiance.Spielberg, Soderbergh, Cronenberg, Attenberg
Devenus stakhanovistes ces dernières années, Steven Spielberg et Steven Soderbergh ont fait une petite pause pour s’atteler à des projets d’envergure : pour Spielberg, ce sont Les Aventures de Tintin, dont nous autres Français auront la primeur mondiale, et qui marque pour le cinéaste un nouveau défi, celui conjoint de la motion capture et de la 3D (gros enjeu de cette rentrée, d’ailleurs, avec des films aussi différents que Shark 3D, Les Trois (D) mousquetaires, ou même le mystérieux Hugo Cabret de Scorsese). Pour Soderbergh, c’est l’aventure d’un thriller angoissant, Contagion, où il imagine les ravages d’un virus mortel comme l’avait fait il y a une décennie Wolfgang Petersen dans Alerte, avec un casting impressionnant (Matt Damon, Jude Law, Kate Winslet, Marion Cotillard, Gwyneth Paltrow…). David Cronenberg fera aussi partie des grands auteurs à venir mettre leur grain de sel dans la rentrée : attendu depuis un moment, A dangerous method, son film sur les relations entre Freud (Viggo Mortensen) et Jung (Michael Fassbender), tous deux amoureux d’une patiente souffrant d’hystérie (Keira Knightley), sera sur les écrans fin novembre, après sa présentation à Venise en septembre — on en bave d’impatience. En compétition à Venise aussi, mais dans la prestigieuse sélection 2010, Attenberg fait figure d’outsider complet face à ces molosses. Mais gare à l’eau qui dort, car sa réalisatrice, Athina Tsangari, est avec son compagnon Yorgos Lanthimos (réalisateur de Canine et acteur dans celui-ci) la représentante d’un cinéma grec frondeur et gonflé qui devrait finir par trouver un écho dans les salles — surtout si Les Alpes, le nouveau Lanthimos, sélectionné à Venise et précédé d’une rumeur enthousiaste, en revient avec un beau trophée.Quelques cinéastes bien-aimés
Découvert à Cannes, Restless de Gus Van Sant peut paraître un cran en dessous de ses œuvres expérimentales (Gerry, Elephant ou Paranoïd Park). En fait, libéré de ses prétentions auteuristes, son cinéma vise maintenant l’émotion pure, simple, universelle, et cette romance entre deux adolescents obsédés chacun à leur manière par la mort est son film le plus sensible et délicat. Échappé de l’écurie Pixar dont il a réalisé quelques-uns des films majeurs (Les Indestructibles et Ratatouille), Brad Bird se retrouve aux commandes du quatrième Mission impossible, avec la lourde tâche de succéder à Brian De Palma, John Woo et JJ Abrams pour perpétuer une série fortement marquée par la personnalité des cinéastes derrière la caméra. Le blockbuster de noël, assurément. Remis de ses déboires judiciaires, Roman Polanski n’a pas traîné et a filmé entièrement en studio avec une distribution internationale (Jodie Foster, Kate Winslet, Christoph Waltz, John C. Reilly) l’adaptation du Dieu du carnage, la pièce de théâtre de Yasmina Reza, qui sortira en décembre sous le titre Carnage. Méconnu en France puisque son magnifique The Fall n’y a eu droit qu’à une sortie DVD l’été dernier, Tarsem Singh, cinéaste dont la maestria visuelle a même laissé pantois David Fincher, proposera un péplum à côté duquel 300 passera sans doute pour un téléfilm : Les Immortels. Andrew Niccol n’avait rien tourné après le demi-échec du pourtant excellent Lord of war. Le revoilà avec un thriller de science-fiction, Time out, avec les très hot Justin Timberlake et Olivia Wilde dans les rôles principaux. Enfin, pour terminer sur une note de comédie (car il y en aura beaucoup en cette rentrée !), on est impatient de découvrir les retrouvailles entre Ruben Fleischer et Jesse Eisenberg, deux ans après le bidonnant Zombieland, dans 30 minutes maximum. Une manière aussi de dire qu’en cette rentrée, c’est la fidélité qui va primer sur le calcul, et qu’il y aura, y compris dans le cinéma grand public, des univers d’auteurs à encourager contre le cinéma en prise directe avec les banques et les acheteurs télé.

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