« L'Histoire est stupéfiante »

Entretien / Réalisateur d’un premier film prometteur, Versailles, qui offrait à Guillaume Depardieu un de ses plus beaux (et hélas ! derniers) rôles, Pierre Schoeller s’affirme avec "L’Exercice de l’État" comme un véritable auteur, cherchant dans les institutions françaises des matières à fiction fortes et complexes. Propos recueillis par Christophe Chabert

Film(s) politique(s)

Pierre Schoeller : « L’idée, c’est que mes films s’éclairent les uns les autres. Ce n’est pas un hasard si Versailles s’appelle Versailles et si le prochain, qui se déroulera pendant la Révolution française, se passera à Versailles ; ce n’est pas un hasard si dans Versailles on est tout en bas et dans L’Exercice de l’Etat tout en haut. De toute façon, c’est une étude du pays. Parler de l’État français, par exemple, c’est parler de l’état de la France. C’est comme ça que ça circule. J’ai d’abord fait un film pour arte sur la condition ouvrière dans l’automobile, et je me suis rendu compte que c’était passionnant de s’attaquer à une institution, c’était un sujet idéal. Je me suis dit qu’il serait intéressant de radicaliser les choses et d’être au cœur du pouvoir. Est venue l’idée de ce film politique. Je n’arrivais pas à l’écrire, j’ai abandonné le projet, et j’ai fait Versailles. Ensuite, il y a eu le film, Cannes, les salles, la mort de Guillaume Depardieu, des choses très fortes. J’en suis ressorti avec une envie de filmer et surtout une envie de faire quelque chose de plus spectaculaire, de plus rapide, de plus nerveux, de plus exigeant sur les comédiens. La politique et ce désir de mise en scène donnent ce film aujourd’hui »

Le rêve d’ouverture

« Le film allait toucher des choses assez sérieuses, même si c’est sur un rythme de thriller assez haletant, avec parfois des scènes de comédie. Il est très masculin par ailleurs, et ça m’étouffait. C’est comme ça qu’est venue l’ouverture du film… M’est revenue cette photo d’Helmut Newton avec la femme dévorée par le crocodile, et je l’ai simplement remise en scène. Il y avait l’idée de commencer le film par quelque chose de stupéfiant qui efface le disque dur du spectateur, qui enlève tout ce qu’il a emmagasiné de l’actualité politique. Il fallait stupéfier parce que l’Histoire est stupéfiante. Et, dernière donnée, c’est le plaisir de la mise en scène. Je me disais, sur ce film, quoi qu’on raconte, j’irai toujours chercher un plaisir de metteur en scène »

Saint-Jean / Borloo

« C’est Olivier Gourmet qui vous fait penser à Jean-Louis Borloo, pas Saint-Jean. Le physique d’Olivier Gourmet ramène à Borloo et on pense que le ministre est centriste. Il a une sensibilité sociale, certes, mais ce serait plutôt un croisement entre un jeune Philippe Seguin et Bruno Lemaire. On dit qu’il ne vient pas du sérail. Il crée son chemin à l’intérieur de l’élite et ça a encore plus de valeur. Il y a quelque chose de sincère, de profond dans sa démarche politique »

Une histoire

« Je voulais qu’à un moment donné le ministre soit seul à travers une épreuve humaine. Comme ce sont les autres qui parlent à travers lui, il n’est pas constitué totalement comme être, il surfe sur les choses. On lui dit qu’il n’a pas d’histoire. Je trouvais beau qu’il acquiert une histoire dans la deuxième partie du film. Il n’a plus de cabinet, plus de directrice de communication, plus de téléphone, il vient de frôler la mort. Et «il pleure comme un petit veau» — c’était écrit comme ça dans le scénario. Le film n’est pas construit sur une structure classique. Je me suis dit un jour : c’est une danse qui s’arrête et qui repart. Comme Versailles, c’est un film sans morale, c’est au spectateur d’énoncer la sienne. Dans L’Exercice de l’Etat, le ministre est arrêté dans sa course. On pourrait croire qu’il a appris un sentiment de justice ou d’égalité ; mais ce n’est pas ce qui se passe. Il acquiert quelque chose de plus profond : un poids, une densité humaine ».

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