Sur la planche

À Tanger, deux ouvrières se vengent la nuit d’un travail aliénant en volant des hommes après les avoir séduits. Rythmé comme un thriller, le premier film de Leïla Kilani dépeint avec acuité une société à couteaux tirés, brutale et inégale. Christophe Chabert

La lutte des classes, la guerre des sexes : c’est une réalité mais c’est aussi, quand on prend les expressions au pied de la lettre, un programme pour films d’action. C’est l’axe qu’a pris Leïla Kilani pour son premier long-métrage de fiction, Sur la planche : son analyse des rapports de force dans le Maroc contemporain ne passe jamais par du discours mais par une mise en scène physique, rapide, au plus près des corps et des gestes de ses personnages, tous saisis dans une urgence de survie. C’est le cas de Badia (stupéfiante Souffia Issarmi), une «fille crevette» comme on appelle les ouvrières travaillant au tri des crustacés dans la zone franche de Tanger. Tout est nervosité chez elle : dans son boulot, dans son rapport aux autres, dans son langage (un flow proche du rap que les sous-titres ont du mal à suivre) et dans sa façon de changer de peau la nuit tombée. Car, avec sa collègue et amie Imane, elles partent dans les rues de Tanger à la rencontre d’hommes riches, couchent avec eux, puis les volent pendant leur sommeil. Pas de jugement moral, pas de psychologie : à la guerre comme à la guerre, exploitées le jour, elles prennent leur revanche la nuit, refusant la fatalité sociale.

Zone interdite

Comme dans tout bon polar, Imane et Badia vont tomber sur un os qui va faire dérailler leur petit business. En l’occurrence deux autres filles, plus jolies (l’une d’entre elles, rousse à la peau blanche, bouscule même les stéréotypes raciaux) et mieux loties qu’elles puisqu’elles travaillent dans les usines de textile de la zone franche. Kilani montre que même au sein d’une minorité opprimée, les inégalités sont là, avec ses dominants et ses dominé(e)s. Tout le film se déroule alors avec cette tension permanente, le danger menaçant à chaque coin de rue, l’illégal le disputant à l’interdit. Une scène résume parfaitement l’art avec lequel la cinéaste mêle suspense et peinture politique de son pays : voulant récupérer un bracelet volé, Badia s’aventure de l’autre côté de la zone, chez les ouvrières textiles, passant en douce une douane, puis empruntant une navette sans le badge qui l’y autorise… Parcours du combattant dérisoire, où la rigidité administrative devient obstacle physique et dont l’issue est peut-être plus dangereuse encore. On ne dira rien de la conclusion (même si Kilani la livre dès la première séquence), mais elle est digne, par son pessimisme, du meilleur des films noirs.

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