Barbara

Proposant un contrechamp intimiste à La Vie des autres, Christian Petzold retrace le quotidien de l’Allemagne de l’Est à travers le parcours d’une infirmière exilée en Province pour ses idées subversives. Un film au classicisme appuyé, qui repose surtout sur son actrice et son scénario. Christophe Chabert

La bonne idée de Barbara, le nouveau film de Christian Petzold, c’est de ne pas adopter tout de suite le point de vue de son héroïne. Elle apparaît au spectateur à travers le regard des autres, et sa froideur butée, son absence d’émotions apparentes, se heurtent aux rumeurs qui courent sur son compte. Nous sommes dans l’Allemagne de l’Est de 1980, et plus exactement dans un petit hôpital de province, où la surveillance de la Stasi est tout aussi forte qu’ailleurs, mais seulement plus voyante. Pour Barbara, infirmière à Berlin, ce nouveau poste est une forme de bannissement, elle qui de toute évidence n’a plus qu’une idée : passer à l’ouest, du côté de la liberté. Le médecin chef du service s’intéresse très vite à cette femme belle, méfiante, distante, mais ses tentatives pour briser la glace se soldent par des échecs répétés. Quand Petzold se décide à dévoiler un peu plus le projet de Barbara, c’est aussi pour peindre le harcèlement constant dont elle est victime : aucune intimité, ni face à sa logeuse, ni face à l’agent chargé de la surveiller, ce qui rend d’autant plus délicate la mise en route de son plan d’évasion.

Faites le mur !

Si la mise en scène de Petzold ne dévie jamais d’un classicisme appuyé, à la lisière de l’académisme notamment dans sa première partie, ce sont bien les nombreux arcs de son scénario qui rendent le film passionnant. L’internement d’une jeune fille sauvage qui, à sa manière brutale et hystérique, cherche aussi à échapper au contrôle étatique, puis la rencontre entre Barbara et son amant de l’Ouest, propose à chaque fois une bifurcation inattendue dans le récit : dans le premier cas, l’attention qu’elle porte à l’adolescente apporte un éclairage sur la dévotion réelle et profonde de Barbara envers les autres — son métier est aussi fort que son envie d’exil ; dans le second, c’est l’inverse qui se produit, lorsqu’elle découvre que ce désir de fuite est si grand chez ses compatriotes que ceux d’en face peuvent aussi s’en servir comme d’un miroir aux alouettes, ouvrant la voie à la désillusion. Des deux côtés du mur, il y a des gens bien et des crapules, et il n’est pas facile, vue la parano ambiante, de discerner les uns des autres. Seule résiste alors la détermination de Barbara, sa force et son intelligence pour ne jamais plier face à la pression environnante. La beauté butée de la comédienne Nina Hoss, excellente d’un bout à l’autre et magnifiquement regardée par le cinéaste, rend le personnage d’autant plus passionnant et confère au film le mystère et la grâce dont il est parfois dépourvu.

Barbara
de Christian Petzold (All, 1h45) avec Nina Hoss, Ronald Zehrfeld…

 

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