Argo

Pour son troisième film derrière la caméra, Ben Affleck s’empare d’une histoire vraie où un agent de la CIA a fait évader des otages en Iran en prétextant les repérages d’un film de SF. Efficace, certes, mais très patriotique. Christophe Chabert

Acteur sujet à de nombreuses railleries, Ben Affleck est en train de gagner ses galons en tant que réalisateur. Il faut dire qu’il est du genre élève appliqué, et si ni Gone baby gone, ni The Town ne révolutionnaient le film noir, ils prouvaient une certaine intelligence de mise en scène et un goût prononcé pour les personnages mélancoliques, en équilibre instable sur les frontières morales. En cela, Affleck s’affichait comme un disciple de Michael Mann ; si The Town était un peu son Heat, Argo est de toute évidence son Révélations : un thriller politique où un preux chevalier en voie de décomposition personnelle regagne l’estime de soi en allant défier un pouvoir inflexible. Ici, c’est l’Iran en 1979, juste après la chute du Shah et l’accession au pouvoir de Khomeiny, en pleine crise diplomatique : une attaque de l’ambassade américaine entraîne une vaste prise d’otages, dont seuls six personnes réussissent à réchapper pour se réfugier chez l’ambassadeur canadien. La CIA fait donc appel à son meilleur agent, Tony Mendez (Affleck lui-même), pour élaborer un plan afin de les ramener au bercail. Après maintes hypothèses insatisfaisantes, Mendez a l’idée de monter un faux film de science-fiction, Argo, et de se faire passer pour le responsable des repérages, en vue de tourner le film sur les terres iraniennes.

Leurre de vérité

L’histoire est vraie  – le générique montre d’ailleurs à quel point Affleck a été scrupuleux dans son désir d’imiter réalité, physique des personnages compris  – mais elle fascine par ce qu’elle convoque de mensonges et d’illusions. C’est en faisant semblant de construire une fiction que Mendez et ses acolytes ont pu berner les autorités iraniennes. La première partie, où les écrans et les régimes d’images s’entrechoquent de manière virtuose, conduit ensuite Affleck vers un commentaire doucement ironique sur le spectacle hollywoodien, capable de distraire à tous les sens du terme le plus acharné des barbus. Le film lui-même témoigne de cette efficacité bulldozer, bâti sur un suspense archi-maîtrisé auquel il est difficile de ne pas se laisser prendre. C’est aussi sa grosse limite : Argo célèbre le courage sans limite de l’Amérique face à ceux qui veulent la détruire, baume au cœur patriotique redoublé par le trajet du héros, qui en profite pour reconquérir son fils et sa femme. On comprend mieux alors l’accueil triomphal réservé au film aux États-Unis ; ici, on se contentera d’en louer les vertus cinématographiques, et ce n’est déjà pas mal.

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