Cannes, jour 1 : attention ! film méchant...

Heli d'Amat Escalante

Il y a du monde cette année à Cannes. L’explication facile serait de dire que la présence de Steven Spielberg comme président du jury et l’annonce d’une pléthore de stars dans les divers films de la compétition ont attiré le chaland. Il n’a pas été déçu par la disponibilité dudit Spielberg, qui signait des autographes à la sortie de la conférence de presse, puis par la classe internationale d’un Leonardo Di Caprio dont l’étoffe d’acteur mythique, à la hauteur d’un Pacino ou d’un De Niro, se peaufine film après film — et sa prestation grandiose dans Gatsby le magnifique le prouve encore.

Il se trouve que par ailleurs il pleut cette année à Cannes. Et pas qu’un peu. Le souvenir du déluge tombé lors du premier dimanche de l’édition 2012 est dans toutes les têtes et les prévisions météo n’annoncent rien de bon pour les jours à venir. Le festivalier était donc déjà trempé jusqu’à l’os, et nous avons dû subir notre première longue queue au milieu d’une foule de parapluies serrés pour pouvoir accéder au  film en compétition de la soirée, Heli du Mexicain Amat Escalante.

Heli a pris d’entrée la place du film pas aimable de la sélection, occupée l’an dernier par Paradis : Amour d’Ulrich Seidl. Pire : après l’épreuve de la pluie, c’est une œuvre incroyablement hostile au spectateur qu’il fallait subir 1h45 durant. L’impression était donc celle de s’être pris des bassines d’eau sur la tronche, puis de se recevoir un sceau de merde sur la gueule ; on a connu coup de départ plus sympa.

Disons-le d’entrée, Escalante repousse les limites du soutenable au cours d’une séquence particulièrement horrible où deux jeunes gens se font torturer, coups de bâtons répétés avant immolation de testicules. Il avait toutefois semé, tel le petit Poucet, quelques cailloux sur le chemin avant ce moment paroxystique : un entraînement militaire où l’on doit se rouler dans son propre vomi, puis être suspendu au-dessus d’un puits de merde, ou encore ce pauvre chiot qui se fait tordre le kiki sans sommation.

On l’avait déjà dit à l’époque de Los Bastardos, mais c’est encore plus flagrant ici : Escalante a vraiment la complaisance dans le sang, plaçant dès qu’il le peut une image racoleuse qu’il s’empresse de filmer dix ou vingt secondes de trop. Il y a quelque chose qui ne tourne pas rond au Mexique, se dit-on après avoir déjà enduré les derniers Reygadas — ici producteur — et Michel Franco l’an dernier. On comprend aisément le désespoir des auteurs face à un pays qui s’enfonce dans la corruption et le chaos, mais aussi leur volonté de pointer la racine sociale d’un mal qui pousse même le plus innocent vers la violence et la frustration.

C’est d’ailleurs la piste qui pourrait sauver Heli : Heli lui-même, personnage taciturne, ouvrier modèle, à la fois fils, mari, père et frère dévoué à sa famille pour qui il se sacrifie sans broncher. Placé dans une spirale de brutalité, il va voir tous ses instincts ressurgir, ne pouvant plus réprimer ses sentiments. Au cours de la plus belle scène du film, Escalante laisse les larmes d’Heli couler, dans un moment de tendresse qui crée enfin une réelle identification à l’écran. Mais, incunable, il s’empresse de placer un détail cracra une séquence plus tard — une femme flic qui lui offre gentiment ses nénés et, face à son désintérêt, lui demande s’il n’est pas pédé.

Tout cela est assez désolant, mais c’est peut-être encore ailleurs qu’il faut chercher ce qui agace le plus dans Heli. Sans doute cette manière de construire un film sur l’équation une scène = une information, conduisant à reproduire le schéma éculé de ce cinéma d’auteur mondialisé avec ses scénarios post-it et ses plans totalitaires où il faut toujours tout montrer, abolissant de facto l’idée même de hors champ. Il y a, dans n’importe quel rape and revenge movie — et Heli appartient, l’air de rien, à ce genre-là — un sens plus aiguisé de la montée dramatique, sans volonté de culpabiliser le spectateur mais en lui offrant une expérience vraiment cathartique. Rien de tout ça chez Escalante : une fois la noirceur du monde exposée sous toutes ses coutures, il referme son film sèchement avec le sentiment du devoir accompli. C’est un peu court, car ce mélange d’académisme et de provocation paraît déjà appartenir à un autre siècle…

Demain, il pleuvra encore… Espérons au moins que les films ramèneront un peu de soleil !

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