Aimer, boire et chanter

Aimer, boire et chanter
De Alain Resnais (Fr, 1h48) avec Sabine Azéma, Hippolyte Girardot...

Pour sa troisième adaptation d’Alan Ayckbourn et, donc, son tout dernier film, Alain Resnais a choisi de laisser en sourdine ses ruminations crépusculaires pour une comédie qui célèbre la vie et la vieillesse, les artifices du théâtre et la force du cinéma. Christophe Chabert

Dans Aimer, boire et chanter, il y a, comme dans tous les films d’Alain Resnais, un dispositif formel fort et très visible. Trop ? C’est ce que l’on pense lors des premières séquences, où le choix de toiles peintes découpées en rideaux pour les entrées et sorties est d’un goût contestable. Cette théâtralité, qui renvoie à la pièce d’Alan Ayckbourn que Resnais adapte ici (la troisième après Smoking / No Smoking et Cœurs) est cependant justifiée par le leitmotiv qui lance chacun des actes : Colin (Hyppolite Girardot) et sa femme Kathryn (Sabine Azéma) répètent eux-mêmes une pièce de théâtre, mais n’en dépassent jamais les premières répliques, la vie et le naturel finissant par reprendre le dessus.

On ne verra jamais cette pièce à l’écran, tout comme on ne verra jamais son acteur principal, George Riley, dont son médecin Colin révèle la mort prochaine. Alors que ses amis (le couple formidable Caroline Silhol / Michel Vuillermoz), son épouse (Sandrine Kiberlain) et son rival (André Dussollier) s’inquiètent, se lamentent ou se réjouissent de la disparition annoncée de leur collègue, George retrouve une nouvelle jeunesse. Et ce sont plutôt les secrets et les rancunes de son entourage que cette insolente santé va révéler.

Cache-cache avec le temps

Revenant aux fondamentaux de la mise en scène, Resnais fait donc de ce cache-cache la dynamique et le propos d’Aimer, boire et chanter. On oublie peu à peu l’artificialité du décor et les gimmicks encombrants (les gros plans détourés sur fond de grille hachurée, les dessins de Blutch) pour se laisser distraire par les jeux inventés par le cinéaste.

Qu’est-ce qui reste obstinément masqué à l’écran ? La maladie, la mort, mais surtout la jeunesse — sinon dans l’épilogue, qui prend un sens funeste après la disparition du cinéaste… Les couples fatigués et les corps en manque – d’alcool, de sexe, de tendresse – sont en revanche au centre de l’action, d’abord unis par leurs mensonges puis, et c’est là où le film touche à son acmé, par l’acceptation de leur vérité : oui, ils vieillissent, oui, ils ne peuvent que regarder de loin la jeunesse, ses mœurs et ses goûts…

Mais Resnais n’en tire aucune mélancolie ; au contraire, par un coup de théâtre qui est surtout un coup de cinéma, il quitte leurs jardins factices et rentre chez eux où prime le réalisme des décors mais surtout des sentiments. Le cinéma, c’est la vie, la vérité et la joie, nous souffle Resnais dans ce magnifique dernier acte ; non pas un point final, mais trois jolis points de suspension…

Aimer, boire et chanter
D’Alain Resnais (Fr, 1h47) avec Sabine Azéma, Hyppolite Girardot, Michel Vuillermoz, Sandrine Kiberlain…

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