Chemin de croix

Chemin de croix
De Dietrich Brüggemann (All, 1h50) avec Lea van Acken, Franziska Weisz...

Derrière la critique du fondamentalisme religieux, ce martyre d’une adolescente de 14 ans, filmé par Dietrich Brüggemann selon des principes aussi rigoureux que ceux qu’il prétend dénoncer, cache en fait une œuvre manipulatrice et très discutable. Christophe Chabert

Ce bon Michel Serres disait, il y a une décennie déjà : « Dans les années 70, quand je voulais faire rire mes étudiants, je leur parlais religion et quand je voulais les intéresser, je leur parlais politique. Aujourd’hui, c’est l’inverse. » Le constat est toujours valable, sinon plus encore par les temps qui courent, et le cinéma se fait la caisse de résonance de ce retournement des valeurs. Un film politique se doit donc d’être satirique, moquer le pouvoir et les institutions ; en revanche, dès qu’il s’agit de causer religion, surtout dans ses dérives fondamentalistes, les cinéastes redoublent d’austérité esthétique, sans parler du discours sous-jacent, sérieux comme un pape – l’expression tombe à point.

Chemin de croix, quatrième film signé Dietrich Brüggemann, ovationné à Berlin où il a reçu le prix du scénario, s’inscrit dans ce registre, même si il est beaucoup plus retors que cela. On y suit la vie de Maria, adolescente de 14 ans élevée dans une famille de cathos fondamentalistes où à peu près tout est interdit, à part les cantates de Bach et les leçons d’un prêtre très pointilleux sur les dogmes chrétiens. Lorsqu’elle a le malheur de se lier d’amitié avec un gamin de son âge, catho lui aussi, mais dans une paroisse plus ouverte (comprenez, on y chante cette « musique satanique » qu’est le gospel !), la vindicte de sa mère, harpie aussi grotesque que dangereuse, marque pour Maria le début d’un long calvaire.

Passion glacée

Le film, plus janséniste que du Michael Haneke, adopte donc un dispositif radical pour le raconter : des chapitres reprenant les stations de la Passion, le fameux « chemin de croix » du titre, qui correspondent à autant de plans-séquences, fixes à trois mouvements de caméra près, tous lourdement signifiants. Brüggemann les traite comme des tableaux vivants où le cadre serait comme une prison pour les personnages – mais ça l’est plus encore pour les acteurs, qui n’ont jamais le droit de sortir de leurs marques. Cinéma du contrôle glacial, dont le dogmatisme fascine autant qu’il provoque le soupçon, oscillant entre pléonasme et contradiction avec ce qui est montré à l’écran. On a envie de rire de la connerie ultime de ces cinglés, mais on ne sait jamais trop si ce recul-là est aussi celui de la mise en scène…

Les trois dernières scènes achèvent de semer le trouble – ou de le lever, pour le pire. La critique du fondamentalisme s’y mue en éloge de la sainteté et du miracle. Twist de scénariste malin ou profession de foi d’un cinéaste ambigu ? Dans les deux cas, il faut reconnaître à ce Chemin de croix une certaine force polémique, qui provoquera dans les salles des réactions exacerbées et, on l’espère, passionnées.

Chemin de croix
De Dietrich Brüggemann (All, 1h50) avec Lea Van Acken, Franziska Weisz…

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