Crimson Peak

Crimson Peak
De Guillermo del Toro (ÉU, 1h59) avec Mia Wasikowska, Jessica Chastain...

Poème tragique beau comme une malédiction gothique, le nouveau Guillermo del Toro tient aussi bien du conte de Poe que du steampunk. De quoi donner des idées à Tim Burton, qui n’en a plus guère…

Cela faisait presque dix ans, depuis Le Labyrinthe de Pan (2006), que Guillermo del Toro n’avait pas livré une œuvre à ce point personnelle. C’est-à-dire nourrie jusqu’à la gueule de toutes ses obsessions et influences – d’ailleurs tellement assimilées et fondues ensemble qu’il n’en reste que des motifs vaguement identifiables, noyés dans l’immensité de sa composition.

Cette histoire d’une jeune héritière américaine du XIXe siècle tombant amoureuse d’un nobliau britannique désargenté (flanqué d’une inquiétante sœur) et inventeur d’une machine à extraire de l’argile rouge, a des allures de Barbe bleue revisité à la sauce Shelley puis relu par Edgar Poe. Car les spectres rôdent ; une menace constante et invisible se ligue à l’humidité ambiante pour oppresser le thorax avec l’amoureuse efficacité d’une phtisie d’antan, le tout dans des décors vertigineusement délabrés…

J'aurai ton Poe !

L’œil exulte face au spectacle réservé par Del Toro, roi des accords chromatiques (souvenez-vous de L’Échine du diable). Aux séquences new-yorkaises, des alliances chaleureuses d’orangé et de vert ; à la partie britannique, le noirâtre, l’écarlate hurlant, le blanc hâve. Le cinéaste donne l’impression d’accomplir plastiquement ce que l'Américain Roger Corman aurait réalisé s’il avait eu des lignes budgétaires illimitées (et une technique adéquate) à sa grande époque Poe : un cinéma oscillant entre romantisme et gothique, ne craignant pas les effets de genre mais ne succombant pas à la mode du moment (celle qui consistait, il y a quelques années, par exemple, à glisser du combat aérien façon Tigre et Dragon à tout propos) ni à la tentation de la parodie, cette facilité de suceurs de roues. Del Toro assume le premier degré de son conte et en récolte une authentique gravité, ainsi qu’une mélancolie rugueuse et lancinante.

On ne dira rien de Mia Wasikowska : sans doute très sympathique hors des plateaux, la comédienne semble se complaire dans les rôles d’oies blanches agaçantes – preuve supplémentaire dans quelques semaines avec sa très falote Madame Bovary. En revanche, quel régal que ce "couple fraternel" joué par Tom Hiddleston et Jessica Chastain ! Si le premier se révèle grâce à ce personnage douloureux, la seconde abandonne sa rousseur sage (la condamnant souvent à des emplois d’Ophélie éthérées ou ingénues) pour se composer une démoniaque figure. Puant un vice terrifiant à chaque image, elle fait en grande partie le charme vénéneux de Crimson Peak.

Crimson Peak
De Guillermo Del Toro (ÉU, 1h59) avec Mia Wasikowska, Tom Hiddleston, Jessica Chastain…

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