"Where to invade next" : Michael Moore en plein coup de pompe

Where to invade next
De Michael Moore (EU, 2h) documentaire

Prétendument missionné par l’Oncle Sam, Michael Moore promène son air patelin coutumier tout autour du globe pour s’emparer des avancées sociales les plus spectaculaires. Vite répétitive, cette charge superficielle tournant à la balourdise complaisante en dit plus sur les limites du système Moore que sur celles des États-Unis.

D’où qu’elle provienne, la démagogie est détestable. Peut-être davantage lorsqu’elle se pare de nobles vertus et de belles intentions. Celle de Michael Moore atteint des niveaux stratosphériques : le culot sympathique alimentant la révolte sincère de ses débuts – voir Roger et Moi (1989) ou Bowling for Columbine (2002) – a laissé la place à une indignation en série ; et désormais dans ses films, la caricature facile remplace la déontologie. Le cinéaste cannibalise ses sujets à force de sur-subjectivité, d’ingénuité en carton et d’auto-starification satisfaite. Pire, il opère d’effrayants raccourcis ou mène de spécieuses démonstrations.

Moore is less

À l’exception d’une parenthèse édifiante narrant la combine employée pour priver une majorité de Noirs de droits civiques (afin de consolider l’emprise politique des Républicains), Where to invade next en est, en effet, la triste illustration pour le spectateur hexagonal. L’affable cinéaste expliquant vouloir importer outre-Atlantique le modèle français de cantines scolaires, il étaye son choix en présentant comme une généralité un cas exceptionnel où le chef mitonne des menus équilibrés et appétissants à partir de produits frais, hors centrale de distribution. Si le contraste est saisissant avec l’école américaine défavorisée prise en comparaison, où les gosses ont pour déjeuner une bouillie prédigérée qu’on croirait synthétisée par Tricatel, la manière de grossir le trait jusqu’à l’obésité pour servir ses thèses confine, elle, à la malhonnête intellectuelle la plus trumpienne.

Déjà pas toujours transposables tels quels aux États-Unis, les parangons qu’il encense par la suite (congés payés si favorables pour tous les salariés en Italie, universités si peu chères en Slovénie, système carcéral si performant et ouvert en Norvège, politique éducative si efficace en Finlande, ...) se retrouvent de facto sujets à caution ; et l’ensemble de son documentaire entaché de suspicion. D’autant qu’il se conclut par une pirouette impérialiste du plus bel effet.

Grande gueule mais trotte-menu, Moore achève de dilapider un crédit acquis à ses débuts grâce à sa ténacité face aux représentants du libéralisme sauvage. Car si à l’époque, il n’était rien devant ces Goliath, aujourd’hui, son assise médiatique planétaire le place en égal ; tel un bouffon bouffi de sa propre importance, un roublard surjouant l’ébahissement face à ses interlocuteurs. D’ici quelques années, il deviendra difficile de faire le distinguo entre une parodie à la Borat et un "documentaire d’opinion" troussé par Michael Moore. Le premier s’affichera clairement comme une franche comédie, quand le second s’obstinera à se croire subversif et… honnête.

Where to invade next
de et avec Michael Moore (E.-U., 2h) documentaire

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