"Plaire, aimer et courir vite" : un peu, pas du tout et pas avec les bonnes chaussures

Plaire, aimer et courir vite
De Christophe Honoré

Pour raconter ses jeunes années entre Rennes et Paris, quand le sida faisait rage, le cinéaste Christophe Honoré use de la fiction. Et les spectateurs se retrouvent face à un pensum dépourvu de cette grâce parfois maladroite qui faisait le charme de ses comédies musicales. En compétition à Cannes 2018.

Paris, 1993. Écrivain dans la radieuse trentaine, célibataire avec un enfant, Jacques (Pierre Deladonchamps) a connu beaucoup de garçons. Mais de ses relations passées, il a contracté le virus du sida. Lors d’une visite à Rennes, il fait la connaissance d’Arthur (Vincent Lacoste), un jeune étudiant à son goût. Et c’est réciproque…

Il faudrait être d’une formidable mauvaise foi pour, quelques mois après le triomphe de 120 battements par minute, taxer Christophe Honoré d’opportunisme parce qu’il situe son nouveau film dans les années 1990 à Paris – ces années de l’hécatombe pour la communauté homosexuelle, ravagée par le sida. Car Plaire, aimer et courir vite s’inscrit dans la cohérence de sa filmographie, dans le sillage de Non ma fille, tu n’iras pas danser (2009) pour l’inspiration bretonne et autobiographique et des Chansons d’amour (2007) ou d’Homme au bain (2010) pour la représentation d’étreintes masculines.

L’ego lasse

Cela dit, les images de Robin Campillo étant encore fraîches en mémoire et rémanentes sur la rétine, il s’avère difficile d’empêcher la pensée de s’y référer devant cette (longue) succession de séquences ne se doublant, elle, d’aucun mémorial militant ni d’aucune velléité lyrique. Plaire, aimer et courir vite recèle bien sa part de tragédie, mais qu’elle paraît incidente et pour tout dire artificielle ! Comme réduite à une pièce rapportée, charriée par un personnage secondaire qu’on aurait ajouté in extremis, histoire de ne pas donner l’impression de tourner en boucle autour de nombrils insatisfaits.

Certes, Arthur, le transposé d’Honoré dans la fiction, n’occupe pas le centre de l’intrigue, puisque celui-ci est dévolu à Jacques. Seulement Jacques, en écrivain mûr accompli et père homo décomplexé, fait figure de translaté contemporain du cinéaste, auquel Pierre Deladonchamps ressemble d’ailleurs étrangement. Un de ses personnages aurait bien mérité de s’appeler Narcisse !

Si les egos sont satisfaits, le dialogue par moments trop verbeux (le développement théorique sur la catégorisation des amants est-il un hommage à Eustache, Godard, Rivette et Truffaut à la fois ?), d’autres aspects du film laissent interrogatif. Comme l’incapacité à représenter la nudité masculine dans l’acte amoureux en déterminant la limite entre l’esthétique et l’érotique. Ici, ni l’une, ni l’autre de ces deux options n’est retenue. Le regard est froid, ni voyeur, ni complice ; on ne le soupçonne pas d’être animé par un quelconque désir pour les corps en présence. Dès lors, comment pourrait-il les rendre désirables, et par conséquent, transférer cette qualité au film ? On récolte ce que l’on sème, et beaucoup moins quand on s’aime soi-même.

Plaire, aimer et courir vite
de Christophe Honoré avec Vincent Lacoste, Pierre Deladonchamps, Denis Podalydès…

pour aller plus loin

vous serez sans doute intéressé par...

Jeudi 23 décembre 2021 Adaptation d’un roman de Philip Roth qui lui trottait depuis longtemps en tête, la tromperie d'Arnaud Desplechin est aussi un plaidoyer pro domo en faveur du droit de l’artiste à transmuter la vérité de son entourage dans ses œuvres....
Lundi 29 novembre 2021 Avec Le Jeune acteur 1, Riad Sattouf poursuit ses études adolescentes en BD avec le premier volet d'une biographie consacrée à l'acteur Vincent Lacoste, qu'il révéla au cinéma dans Les Beaux Gosses. Et en qui il semble avoir trouvé son Antoine...
Mercredi 17 novembre 2021 Deuxième incursion du maître de La Compagnie des Chiens de Navarre au cinéma après le bancal Apnée, Oranges Sanguines rectifie le tir pour viser juste dans plusieurs directions à la fois : politique, économie, famille, adolescence… Un...
Mardi 17 décembre 2019 Pâques aux tisons, Noël au balcon… des cinés. Grâce à Valérie Donzelli, la cathédrale de Paris revit à l’écran, personnage secondaire d’une délicieuse fantaisie sentimentale, burlesque et fantastique. Où il est aussi question de la place des femmes...
Lundi 12 novembre 2018 Portant le fardeau d’une enfance abusée, Odette craque et solde son passé, subissant en sus l’incrédulité hostile de sa mère. Une histoire vraie passée par la scène peinant à trouver sa pleine voix au cinéma mais heureusement relayée par des...
Mardi 30 août 2016 Philippe Lioret renoue ici avec le drame sensible en milieu familial qui lui avait fait signer sa plus grande réussite, "Je vais bien ne t’en fais pas". Une heureuse décision, soutenue par une paire d’acteurs qu’il ferait bien d’adopter : Pierre...
Lundi 18 avril 2016 Cinéaste aux inspirations éclectiques (mais à la réussite fluctuante), Christophe Honoré jette son dévolu sur deux classiques de la Comtesse de Ségur pour une surprenante adaptation à destination des enfants autant que des adultes… Vincent Raymond
Mardi 1 mars 2016 Le millésime 2016 de Benoît Delépine et Gustave Kervern, les plus illustres cinéastes grolandais, est arrivé et il n’a rien d’une pochade : derrière son nez rouge de clown, "Saint Amour" dissimule une histoire d’amour(s) tout en sobriété… Notre film...
Mardi 9 février 2016 De Danielle Arbid (Fr., 1h59) avec Manal Issa, Vincent Lacoste, Damien Chapelle...
Mardi 2 septembre 2014 Dans une séquence élégamment distanciée, les personnages d’Hippocrate, tous médecins ou infirmiers, internes, externes ou chefs de service, se retrouvent (...)
Mardi 4 février 2014 Depuis trois ans, Mélodie Richard enchaîne les expériences prestigieuses, tant au théâtre qu’au cinéma. À l’affiche cette semaine des "Revenants", la dernière pièce du metteur en scène Thomas Ostermeier, elle apparaît une nouvelle fois comme l’une...
Vendredi 24 janvier 2014 Après "Les Beaux gosses", Riad Sattouf monte d’un cran son ambition de cinéaste avec cette comédie sophistiquée, aussi hilarante que gonflée, où il invente une dictature militaire féminine qu’il rend crédible par des moments de mise en scène très...
Vendredi 21 juin 2013 Avec "L’Inconnu du lac", Alain Guiraudie entre dans le cercle des grands cinéastes français. Une semaine après la sortie du film, il était plus que logique d’aller rencontrer un cinéaste dont l’honnêteté vis-à-vis de son œuvre et la modestie envers...
Mardi 4 juin 2013 Quelque part entre Simenon et Weerasethakul, Alain Guiraudie installe une intrigue de film criminel sur les bords d’un lac transformé en paradis homo, interrogeant les mécanismes du désir et l’angoisse de la solitude. Drôle et envoûtant. Christophe...
Jeudi 11 octobre 2012 Passant après le calamiteux épisode Langmann, Laurent Tirard redonne un peu de lustre à une franchise inégale en misant sur un scénario solide et un casting soigné. Mais la direction artistique (affreuse) et la mise en scène (bancale) prouvent que...
Mardi 17 juillet 2012 De Carine Tardieu (Fr, 1h29) avec Agnès Jaoui, Denis Podalydès, Isabelle Carré…
Jeudi 14 juin 2012 De et avec Bruno Podalydès (Fr, 1h40) avec Denis Podalydès, Isabelle Candelier, Valérie Lemercier…

restez informés !

entrez votre adresse mail pour vous abonner à la newsletter

En poursuivant votre navigation, vous acceptez le dépôt de cookies destinés au fonctionnement du site internet. Plus d'informations sur notre politique de confidentialité. X