Diane Kruger : « Les meilleurs agents, ce sont madame et monsieur Tout-le-monde »

The Operative
De Yuval Adler (2019, All-Fr-Isr, 1h56) avec Diane Kruger, Martin Freeman...

De passage à Paris où elle tourne le film d’espionnage "355", la comédienne internationale évoque son travail sur "The Operative", film de Yuval Adler en salle le 24 juillet dans lequel elle interprète une agent du Mossad s’affranchissant de ses donneurs d’ordre. Rencontre.

Le travail d’espion présente-t-il des similitudes avec celui d’actrice, dans la mesure où vous devez entrer dans un personnage, le tenir…

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Diane Kruger : Quand on est actrice, on fait semblant ; on observe des gens et, pendant 6 à 8 semaines, on simule. Mais les agents du Mossad que j’ai pu observer durant mon stage ont vécu sous des fausses identités, ont mené de fausses vies pendant des années. Il faut un mental incroyable pour cela : sur 5 000 personnes, le Mossad n’en recrute qu’une !

Vous dites que vous avez fait un stage ?

Oui, ils étaient "partenaires" du film. Ils m’ont fait faire des petits exercices. Par exemple, avec un passe qu’ils m’ont fabriqué, j’ai dû essayer d’entrer à l’aéroport international de Tel-Aviv – après, je ne sais pas jusqu’à quel point c’était préparé, mais quand même… Avec des cheveux foncés, sans maquillage et en changeant de vêtement, on passe inaperçu. Finalement, le but, c’était de montrer que les meilleurs agents, ce sont madame et monsieur Tout-le-monde, sans signe distinctif.

Dans quelle mesure étaient-ils partenaires, vu que le film donne finalement de la légendaire infaillibilité du Mossad une image étrange…

Les agents qui nous ont aidés ont quitté le Mossad. L’auteur du livre dont le film est inspiré était le superviseur de l’agent ; celle-ci vit en Israël, mais je n’ai pas pu la voir : elle n’en avait pas envie. Après, c’est difficile de connaître tous les détails : elle était très forte pour raconter ce qu’elle avait envie de raconter. J’avais quand même le sentiment que quand elle me parlait au téléphone, beaucoup de choses restaient tues.

C’est compliqué, cette histoire… Même les anciens du Mossad qui m’ont aidée pour ma formation ont une relation d’amour / haine avec l’agence : ils sont fiers de ce qu’ils ont accompli et honte de certaines choses. Je crois que la Mossad est l’agence la plus forte au monde. Mais je pense aussi qu’il y a beaucoup plus de missions qu’on ne le croit qui sont mises en danger à cause d’histoires d’amour – c’est normal.

Y a-t-il une difficulté supplémentaire à jouer quelqu’un qui "joue à jouer" ?

Oui et non. Au début, j’avais du mal à croire qu’une personne non juive puisse être recrutée par le Mossad. Mais en fait, c’est un avantage car n’ayant pas de passeport israélien, ni de lien avec Israël, elle passe plus facilement dans des pays comme l’Iran.

J’ai échangé par téléphone avec la personne dont l’histoire du film s’est inspirée. C’est quelqu’un qui se cherchait beaucoup dans sa vie, qui a eu une enfance difficile, dont le père était juif mais pas elle et qui s’est retrouvée en Israël face à cette cause juive très forte – moi-même, je me suis rendu compte à quel point les Israéliens font tout pour la défendre ; en tant qu’allemande, ça ne me viendrait pas à l’idée de faire deux ans de service militaire sans être payée – et la déception qu’elle avait ressentie après des missions au long cours…

Est-ce plus difficile d’être un homme ou une femme agent ?

Il y a plein d’avantages à être une femme agent. Toutefois, les hommes que j’ai rencontrés y ont aussi laissé un peu de leur peau : on sent qu’ils ont payé, qu’il y a une faille lorsqu’ils sortent d’une mission d’enfer.

Lorsque votre personnage dit « je ne sais pas où est ma place », il y a comme un effet miroir. En tant que comédienne allemande jouant en anglais et en français, avez-vous parfois le sentiment d’être égarée ?

J’avais ça plus jeune. Aujourd’hui, avec la maturité, mon attache c’est ma famille : à Paris ou à Atlanta ou New York.

Justement, ce personnage vous a-t-il intéressée du fait de ses télescopages culturels ?

Peut-être inconsciemment. En tout cas, je ne l’ai pas recherché. Les personnages qui me fascinent sont ceux qui se cherchent, qui sont compliqués. J’ai trouvé quelque chose de fascinant chez elle parce qu’elle se cherche, parce qu’elle veut trouver une raison d’être et, finalement, se trouve, sans avoir besoin d’une cause plus grande qu’elle.

Selon vous, son superviseur éprouve-t-il pour elle quelque chose allant au-delà d’une relation de travail ?

Chaque agent a un superviseur et le Mossad veut que leur relation soit très fusionnelle, que le superviseur sache tout de l’agent. Il faut que l’agent ait 100% confiance. Ici, tout se brouille. On a envisagé, à un moment, aller davantage dans cette direction, mais c’était bien de laisser de l’ambiguïté. Mais le seul fait que mon personnage mente à son superviseur suffit pour attirer des suspicions.

Comment le scénario vous est-il parvenu ?

C’est Yuval, le réalisateur, qui me l’a proposé directement. J’avais vu son film Bethléem (2014) qui était en compétition à Venise quand j’étais membre du jury. Vis-à-vis du sujet, j’ai été intéressée par le fait qu’il soit Israélien : c’était à mes yeux un gage d’authenticité.

Comment avez-vous travaillé avec lui ?

C’est un professeur, une tête : il vit à New York, il a eu une vie avant, il a écrit des livres d’histoire, d’anglais… Il adore discuter, alors on a beaucoup répété. Ça a un avantage : tout est clair sur le tournage. Moi, j’aime répéter certaines scènes, et ne pas en toucher d’autres. Lui est moins émotionnel que cérébral, et mon travail est souvent le contraire. J’adorerais refaire un film avec lui.

Avez-vous trouvé des similitudes avec votre personnage dans In the fade de Fatih Akın​ (2018), qui vous a valu un prix d'interprétation​ à Cannes ?

J’ai l’impression d’avoir payé de ma personne pour In the fade : j’ai passé 6 mois de préparation, en assistant tous les jours à des groupes de thérapie ; très sincèrement, rien que de me remémorer les témoignages de ces femmes, ça m’émeut encore aujourd’hui – même là j’ai les larmes aux yeux. Pour ce film-là, ce n’est pas pareil.

Il y a des conséquences psychologiques à interpréter un tel rôle ?

Je ne sais pas comment vous répondre, cela dépend de chacun. Avant In the fade, je n’avais jamais eu de mal à marquer une différence entre ma vie privée et un film. Mais ce film m’a tellement affectée qu’il a remis plein de choses en question. C’est ça d’être vivant, je devrais le faire sans être actrice, être plus à l’écoute, me poser les bonnes questions.

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