«L'artiste est fou»

L’une des moitiés d’Art Orienté objet, Marion Laval-Jeantet, nous parle du travail du duo. Propos recueillis par Laetitia Giry

Attrape-nigauds
L’ours polaire est là comme un attrape-nigauds, c’est affreux à dire. Symbole connu, reconnu de destruction de la couche d’ozone, du réchauffement de la planète : c’est donc maintenant un cliché. On l’a utilisé comme tel volontairement, pour montrer ces problèmes d’inconséquence et d’incohérence qu’il y a dans les choix présentés comme écologiques et qui souvent sont des leurres. L’ours est un objet fascinatoire, une forme de piège. On n’en a jamais vu autant dans la publicité, car aujourd’hui la peur de ce problème écologique fait vendre, et en faisant vendre ça ne fait que l’aggraver. Cette incohérence totale, on l’a utilisée comme un oxymore, une espèce de figure fascinatoire, hypnotique, de notre incapacité à nous sortir de là. C’est compliqué parce que tout pousse à la consommation, y compris quelques fois l’art. L’Autre
On s’intéresse aussi à la question de l’autre, de l’autre en tant que minorité. Forcément ça devient l’animal aujourd’hui, mais on a aussi fait des travaux en prison, ou avec des populations en danger. Cela nous semble intéressant de rester dans un monde qui conserve une grande biodiversité humaine et animale. Sa limite est notre parano. Y compris sur le plan social, c’est assez global. On fait des choix qui peuvent paraitre radicaux, mais qui sont systématiques. On sait que l’art ne peut pas secouer des masses de conscience, mais il peut mettre les gens dans le même état de questionnement existentiel. On nous classe souvent comme artistes scientifiques, mais on se pose surtout des questions sur la liberté individuelle par rapport au collectif et à l’environnement. Quand on est militants écolo, il y a un moment où on a l’impression que toutes les solutions qui sont prises ont des conséquences contraires, on est dans une impossibilité d’avancer. Cela fait longtemps que l’on est concernés par ces problèmes. Au début, on était un peu considérés comme des fous.Dans la peau d’un chat
Dans nos recherches sur les animaux, notre logique est plutôt scientifique. L’éthologie correspond à l’étude du comportement des animaux à travers les leurres. Pour le chat, je me suis rendue compte que le fait que l’on soit statique, debout, faisait que pour eux on avait forcément une situation dominante. C’est parti un peu d’un fantasme. En marchant comme eux, ils nous reconnaissent comme n’étant plus dans une situation statique, et nous sautent dessus comme s’ils voulaient provoquer une course, sauf qu’évidemment on n’est pas aussi habiles qu’eux à courir ! Les œuvres comme des « efficaces »
J’ai fait beaucoup de travaux manuels avec ma grand-mère et l’objet était censé avoir un effet dans la réalité. Quand j’ai commencé à faire de l’ethnologie, je suis partie vers l’ethnopsychiatrie, c’était une technique intéressante en tant que similaire à l’art, comme un lien entre le soi et la culture, l’ensemble - exactement la même charnière. Dans l’ethno psy, le problème est de savoir à quel moment un objet est efficace. Benoit [Mangin, deuxième moitié du duo, NDLR] et moi, on s’est rencontrés en Iconologie, domaine de l’histoire de l’art où on essaye de comprendre le sens caché des œuvres, et donc finalement comment elles sont efficaces, qu’est-ce qu’elles racontent. Pour nous, c’est très important qu’un objet contienne une narration qui soit perceptible à celui qui veut bien le creuser. Il y a toujours un côté astuce, un peu facile au départ, et la nécessité de dépasser ce premier stade pour comprendre l’histoire racontée derrière. « La persistance déraisonnable à faire de l’art »
Il y a un côté profondément déraisonnable à faire de l’art, qui fait qu’on se demande parfois si l’on n’est pas dingues. Mais on continue, parce que ça a un sens pour nous, pas toujours pour les autres, mais au moins pour nous. C’est assez drôle, à un moment on s’est dit qu’il fallait montrer aux gens la folie que ça représente. On se fait donc exploser la tête nous-mêmes [des têtes de verre, bien sûr, NDLR]. Ce qui est la preuve qu’il y a un danger à faire de l’art. C’est aussi interdit d’irradier les gens [par rapport aux lumières dans la salle de l’ours, NDLR]. Quand les artistes pètent les plombs, ça peut avoir des conséquences. Il y a très peu d’œuvres qui sont proposées à la casse. C’est totalement déraisonnable.

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