L'Italienne élégance

La nouvelle exposition du Magasin présente les œuvres d’une quarantaine d’artistes… C’est beaucoup, mais nécessaire pour appréhender la jeune création d’un pays – en l’occurrence l’Italie – et pour tenter d’en définir les contours. LG

Des artistes italiens, « nombreux sont ceux qui vivent ailleurs qu’en Italie » : cette donnée essentielle qui sonne comme une affirmation dans la bouche d’Yves Aupetitallot, directeur du CNAC, fait entrevoir un état de fait qui ne semble pas se limiter à l’Italie, mais s’y exprimer peut-être de manière plus ample qu’ailleurs : la création fuit vers des mégapoles plus mouvantes. New York, Londres, Berlin sont ainsi des berceaux d’accueil pour des artistes en quête d’appréciation et d’émulation. Ce que l’on ressent pourtant dans la confrontation des œuvres exposées serait plutôt de l’ordre d’une unité identitaire forte, d’un terreau commun faisant fleurir d’audacieuses idées, dans des formes variées mais dont la pertinence de l’association a de quoi interpeller. Dans le recueil édité à l’occasion de l’exposition (voir encadré), le même Yves Aupetitallot de préciser : « depuis déjà les années 1970, un écart s’est creusé entre la réflexion artistique et sa possible actualisation […] ce qui a menacé l’Italie de devenir un territoire périphérique ». Ainsi, la création transalpine aura trouvé son salut international grâce à la mobilité de ses principaux acteurs : artistes et curateurs.Matière et esprit
L’exposition « SI Sindrome Italiana », ou un grand « oui » d’acceptation et de curiosité vis-à-vis de la jeune création italienne, s’impose ainsi comme un effort de synthèse bienvenu, un panorama rassembleur et salutaire. Elle se découvre en un parcours beaucoup plus aéré et cohérent que ne le laissait présager la profusion d’artistes représentés. Parmi les similarités, on note l’utilisation de matériaux du quotidien comme vecteur d’une idée – artistique ou politique – mais ne s’offrant pas immédiatement. La classe du concept réside dans la discrétion, le camouflage verni plutôt que proprement dissimulateur, travaillé pour sa beauté sans jamais nier sa valeur possible. Un détour par quelques œuvres le prouvera mieux qu’un discours : la licorne majestueuse de Piero Golia, d’un noir laqué parfaitement brillant, s’avère être le résultat de la compression de la voiture accidentée de l’artiste, transformée en œuvre dont la vente lui aura permis de couvrir les dettes occasionnées par la collision ; ou cette pierre éventrée, bloc apparemment sans intérêt, mais bloc emprunté aux plages d’Italie, terres peu accueillantes pour les immigrants, et bloc réduit, taillé jusqu’à ce que son poids rejoigne celui de l’artiste, Francesco Arena. Notre préférée se vit comme un augure funeste, l’annonce implacable vers laquelle chaque œuvre en présence fait un peu plus tendre notre conscience : des lettres découpées dans de l’acier brillant à effet miroir occupent toute une pièce, courant sur trois murs, enlaçant le visiteur de l’une des dernières phrases publiques prononcée par le réalisateur italien Pier Paolo Pasolini avant son assassinat, et qui signifie en français « Je sais que je me trompe peut-être mais continuerai à le dire. Je pense que nous sommes tous en péril. » Marzia Migliora s’empare ainsi d’un monument culturel de son pays, pour en faire scintiller la lucidité et miroiter la désolante contemporanéité.En corps
La place accordée à la performance reste étonnamment anecdotique, au regard bien sûr de son hyper présence dans l’art depuis les années 1970. Et quand performance il y a, il nous a semblé qu’elle considérait le corps – sa matière brute – à distance : reconstitution de scènes de films ici, éclatement d’une boule de déchets là, incarnation de cartes de tarot. Le corps s’invite en qualité de corps vidé. Une faille ronge l’organisme de l’intérieur, et le cocon vital se dessine avec plus de confiance dans les multiples évocations minérales et animales : gravures de volcans, sons de roches, photographies de montagne (voire de la tombe de Marilyn Monroe), brindilles résultant de la dissection d’un nid d’oiseau, autant de détails dressant l’imaginaire vers un ailleurs conté, narré, protégé des velléités autodestructrices du monde moderne : effrayant et furieux dès lors qu’un corps le figure. A l’image de l’autoportrait de Francesco Gennari contenu dans un bloc noir posé au sol, ou de cette vidéo diffusée par un vieux projecteur bougeant sans cesse et ne libérant que les bouts de phrase d’un scénario pour toute image. Car l’image telle qu’on la connaissait – évidente – est chassée par plus mystérieuse et plus élégante qu’elle.SI Sindrome Italiana
Au Magasin – CNAC jusqu’au 2 janvier 2011.

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