Telle est sa quête

Le musée Géo-Charles accueille l’œuvre et l’aura de Jean-Christophe Norman. Entre performance et abstraction, à la lisière de l’être et du néant, ce qu’il donne à voir fascine autant par ses fins que ses moyens. Laetitia Giry

Ancien alpiniste, Jean-Christophe Norman a subi une greffe de poumon qui l’a mué en un artiste étrange il y a une petite dizaine d’années. Son œuvre se tisse dans la patience et la répétition, dans la gestion de la trace et la capture du temps. Des longues marches qu’il effectue dans différentes villes du monde – planifiées selon des trajets précis –, il conserve et expose des photos du ciel ou du sol. Esthétiquement assez vains, ces éléments méritent d’être salués pour la clé de compréhension qu’ils offrent, révélant que se joue là une quête dans le temps et l’espace libérée de toute forme de nécessité. Privé du plaisir de gravir les sommets enneigés, remodelé par l’attente immobile forcée de la rémission, l’intéressé a trouvé pour son esprit une nouvelle et fondamentale excitation...

Perdu

La série Sans titre consiste en la copie manuscrite de récits de voyages sur d’immenses toiles ou feuilles de papier, à l’huile ou à l’encre. Paysage mouvant constitué des innombrables petits signes que sont les lettres, la feuille aspire le regard et le rejette ; la lecture, rendue impossible, ne peut être effectuée que par bribes et mener à une perte totale de repères. Chaque mot participe désormais au visible et non au sens : Au cœur des ténèbres, de Joseph Conrad, devient image et puits sans fond, dans une démarche qui dénude le contenu du livre en même temps qu’elle en opacifie la signification. Le philosophe Merleau-Ponty évoque bien cette confusion : « je serais bien en peine de dire où est le tableau que je regarde. Car je ne le regarde pas comme on regarde une chose, je ne le fixe pas en son lieu, mon regard erre en lui comme dans les nimbes de l’Être ». De la même manière, on ne situe pas un livre, et encore moins le récit qu’en bon support il nous propose de lire, de la même manière l’on plonge dans le texte rendu vision par Jean-Christophe Norman. L’errance s’établit ainsi à deux niveaux : le contenu (récit de départ), et la forme. Comme l’on peut lire sur une toile élégamment embrumée de vagues noires sous le texte recopié : « Elles savaient, ces voix, que chacun est prédestiné à replonger dans le fleuve et qu’il est incapable de distinguer l’endroit où il replonge de celui d’où, autrefois, il eut l’illusion d’émerger ».

Vers le néant

De la célébration du signe à sa suppression, il n’y a qu’un pas. La série Covers présente des pages de journal déchirées, encadrées après que leurs images ont été recouvertes à la mine graphite. Comme un palimpseste dirigé vers l’annihilation de l’image pure et simple. Là encore, la matière utilisée compte : l’entreprise de décharnement est dirigée contre des représentations d’œuvres fameuses de l’art contemporain. Ne restent ainsi que les légendes indiquant Warhol ou Penone, en-dessous d’une béance grise et sertie d’ombres nostalgiques (on peut distinguer derrière le camouflage des reflets des illustrations). Dans ce geste de négation se dessine la voie d’un minimalisme ténu, continué dans la performance Night & Day : trois monochromes gris obtenus au terme d’une journée passée à frotter sa mine graphite sur le papier. Des monochromes qui se font symboles et preuves de l’écoulement du temps, de sa concentration possible, de sa matérialisation insensée dans son resserrement en matière par l’action de l’artiste. Les minutes s’égrènent comme dans ses quelques vidéos au statisme déroutant, plans fixes et contemplatifs qui dévoilent la réalité jusqu’à son épuisement. Aramram: image retournée d’une mer brune au remous naturel, surplombant un ciel blanc, calme, dérangé seulement par le passage de quelques mouettes. Une focalisation qui interpelle quant à la nature des choses, suggérant qu’où il y a passage du temps, il y a mouvement, variation, redynamisation ; que l’accomplissement de la recherche de Jean-Christophe Norman se trouve dans ses déambulations perpétuelles plus que dans leur but, dans le geste incessant plus que dans son résultat immuable. Et Merleau-Ponty toujours, de s’interroger : « Le plus haut point de la raison est-il de constater ce glissement du sol sous nos pas, de nommer Être ce qui n’est jamais tout à fait ? »

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