Musée de Grenoble : Andry-Farcy, un conservateur pas très conservateur

Hommage à Andry-Farcy, un conservateur d'avant-garde

Musée de Grenoble

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Exposition / Conservateur du Musée de Grenoble de 1919 à 1949, l’intuitif et audacieux Andry-Farcy (1882-1950) contribua largement à l’enrichissement en œuvres d’art moderne de la collection grenobloise. Retour sur le parcours de ce touche-à-tout au caractère bien trempé à l’occasion de la bien nommée exposition "Hommage à Andry-Farcy, un conservateur d'avant-garde [1919-1949]" que lui consacre le musée.

« Mes projets sont simples : continuer en faisant le contraire de ce qu’ont fait mes prédécesseurs qui n’ont ouvert leur musée à aucun des grands maîtres du XIXe siècle. J’ouvre la porte aux jeunes. » Le ton est donné et la formule témoigne bien de la personnalité de son locuteur : Pierre-André Farcy dit Andry-Farcy, tout fraîchement nommé conservateur du Musée de Grenoble. On est en 1919, à la sortie de la Grande Guerre, et celui-ci a pour projet de faire prendre à son institution (alors basée place de Verdun) un tournant résolument moderne en enrichissant sa collection d’œuvres d’artistes d’avant-garde.

« Mieux vaut balbutier des vérités naissantes que d’affirmer avec facilité des vérités conquises par nos aînés » ajoute-t-il lors d’un discours en 1921. Tandis que la plupart des musées français, crispés sur l’art du passé, laissent filer les œuvres des grands noms français et internationaux de l’art moderne (pourtant souvent basés à Paris), le conservateur grenoblois prend le risque de miser sur ces artistes audacieux que sont Ossip Zadkine, Maurice de Vlaminck ou encore Henri Matisse.

Le sens de la comm’

Mais pour faire basculer son musée dans la modernité, Andry-Farcy ne se contente pas de faire l’acquisition d’artistes d’avant-garde : il œuvre à faire exister son temple artistique dans un réseau culturel dynamique et international. Menant en parallèle une carrière de dessinateur publicitaire, il a le sens de la communication et met en place des stratégies visant à amplifier la notoriété du musée : il développe des partenariats avec les acteurs locaux du tourisme (alors en plein expansion) et, surtout, organise de nombreuses expositions hors les murs qui contribuent à donner une visibilité sans précédent à la collection grenobloise. Ainsi, en 1935, l’exposition Chefs-d’œuvre du Musée de Grenoble passe par Paris, Zurich et Amsterdam !

Bien sûr, tout cela ne se déroule pas sans accro, Andry-Farcy étant par exemple régulièrement la cible du journal La République de l’Isère dont on pourrait envier le sens de la formule si elle n’était pas au service d’une pensée réactionnaire, nationaliste et antisémite. Les recherches et les inventions formelles propres à l’art moderne sont totalement incomprises et méprisées par des journalistes qui considèrent que ces œuvres sont des « éructations de cerveaux maladifs ». L’acquisition de ces œuvres, qualifiées de "dégénérées" par les nazis, va contribuer à l’arrestation et internement d’Andry-Farcy en 1943. « Je n’avais rien à avouer puisque mon crime s’étalait sur les murs du musée » explique-t-il.

Après la guerre, il continue son travail de défricheur, présente au public Pierre Soulages ainsi que Hans Hofmann, l’un des représentants de l’expressionnisme abstrait américain tout juste naissant. Décédé en 1950, un an après son départ du musée, Andry-Farcy fait ainsi partie de ces têtes brûlées que l’institutionnalisation du système aurait du mal à faire émerger aujourd’hui puisque, désormais, un diplôme a plus de valeur que le goût de l’aventure et le sens de l’intuition.


Et l’expo dans tout ça ?

Dans les années 1910-1920, Andry-Farcy est une sorte de touche-à-tout prolifique : il écrit des chroniques d’expositions, peint quelques tableaux, mais surtout conçoit le graphisme de nombreux emballages et affiches pour les grands acteurs industriels grenoblois de l’époque – Cémoi, Lustucru, Brun… Pourtant, si dans le musée une salle indépendante témoigne bien de cet aspect, c’est au sein même des collections d’art moderne, au travers des acquisitions qu’il a faites, que se déploie le parcours-hommage que lui rend la prestigieuse institution dont il commença à être le conservateur il y a tout juste 100 ans (dont le mandat dura 30 ans).

L’équipe des lieux a ainsi saisi l’opportunité de cet hommage pour ressortir des œuvres d’artistes oubliés, et notamment des femmes (Lucie Cousturier, Valentine Prax) et des non-occidentaux (comme les Brésiliens Tarsila do Amara et Vicente Do Rego). Ou encore des trucs assez bizarres comme ce portrait caricatural de « Normands » par un certain Vassily Schoukhaeff. Surtout, c’est l’occasion de revenir sur l’histoire de l’acquisition de certaines œuvres qui font la renommée actuelle de la collection, comme Le Bœuf écorché de Chaïm Soutine et Intérieur aux aubergines d’Henri Matisse.

Enfin, à plusieurs reprises sont rassemblés des tableaux que le conservateur avait présentés lors d’expositions qui avaient pour but de valoriser internationalement le musée. Dans le genre, le fascicule du Museum of Modern Art de New York, attestant d’une exposition réalisée en collaboration avec « the Grenoble Museum », a de la gueule !

Hommage à Andry-Farcy, un conservateur d'avant-garde [1919-1949]
Au Musée de Grenoble jusqu’au dimanche 24 novembre

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