Des bulles, des cases, des cadres

Derrière la montagne, la face cachée du tableau

Couvent Sainte-Cécile

ce spectacle n'est pas à l'affiche actuellement

Exposition / Pour sa nouvelle exposition temporaire intitulée "Derrière la montagne, la face cachée du tableau", la fondation Glénat a eu la bonne idée d’inviter vingt-sept dessinateurs de bande dessinée à dialoguer avec des œuvres picturales ayant pour sujet la montagne. Un ensemble de propositions inégales mais dont la variété ne peut que nous réjouir !

Le tableau est immense et la scène éloquente. Égarée, une vache meugle de toutes ses forces au bord d’un précipice. La végétation sèche et rase, les vertigineux sommets enneigés, sont autant d’indices annonciateurs de l’approche d’un hiver funeste pour le pauvre bovin… Face à cette scène dépeinte par Gustave Doré en 1852, l’anecdote raconte que le personnel de Glénat s’interrogeait : « Que va-t-il advenir de cette pauvre vache ? ». Ainsi serait né ce projet d’exposition.

Des dessinateurs (et quelques dessinatrices) ont été invités à imaginer un possible avant ou après, un hors champ ou un contrechamp à un tableau du XIXe siècle choisi parmi une liste qui leur était proposée. Une bonne majorité de ces tableaux provient du fonds Glénat, mais aussi de quelques collections des musées alentour (Musée des Beaux-Arts de Chambéry, Musée dauphinois ou encore Musée Alpin à Chamonix). Le tout s’avère plutôt stimulant, permet de (re)découvrir certaines peintures remarquables, de valoriser des auteurs pas toujours ultra-célèbres et de s’enthousiasmer pour certaines propositions réellement enthousiasmantes.

Grands noms

Il est amusant de constater que les grands noms de la bande dessinée qui figurent dans l’exposition (Loustal, Rochette, Cosey, Boucq…) sont souvent ceux qui, comme par hasard, n’ont pas strictement respecté la consigne qui leur était faite d’imaginer "la face cachée du tableau". En effet, Rochette se contente de faire une simple réinterprétation de la vue sur le mont Saint-Eynard que Jongkind a peint en 1875 depuis le quai qui porte désormais son nom ; l’auteur d’Ailefroide et du Loup confronte ainsi sa touche massive à celle vaporeuse du Hollandais. Cosey, lui, s’exerce à l’art de la paréidolie en faisant surgir des figures oniriques dans un paysage de Gustave Doré. Amusant. Boucq, enfin, réalise une interprétation sismographique millimétrée d’un paysage ultra-réaliste de Helbronner. Si cette dernière proposition teintée d’humour est assez réussie, c’est toutefois dans sa deuxième réalisation que Boucq répond avec brio à la consigne en offrant un contrechamp fantasmagorique sur l’étrange forme pyramidale qui apparaît au fond d’un paysage de petit format de Gabriel Loppé.

Propositions délirantes

Si certaines propositions sont parfois anecdotiques ou tombent un peu à plat, l’exposition reste l’occasion de voir de magnifiques dessins. C’est le cas par exemple de la composition d’Olivier Balez, dont le dialogue avec la vue du monastère de la Grande Chartreuse n’est pas palpitant, mais qui propose un délicat (et remarquable) travail chromatique. L’exposition permet également de découvrir de surprenants tableaux comme la délirante vision romantico-baroque de la traversée des Alpes par Hannibal livrée par Bénédict Masson – dont, par comparaison, la réinterprétation par Olivier Vatine semble bien timorée. D’autres propositions sont, pour le coup, réellement réjouissantes et font basculer l’œuvre picturale dans des dimensions narratives, spatiales et temporelles insoupçonnées. Quelques craquements dans la neige de la vue du Mont-Blanc par Helbronner apparaissent sous le trait de Mélissa Morin comme annonciateurs du surgissement d’un gigantesque cristal dont les formes anguleuses contrastent avec le traitement tout en volutes du massif montagneux. Chabouté vient chahuter le pittoresque Pêcheur dans le torrent de Godchaux en faisant surgir sous le tableau, deux gardes champêtres aussi zélés que corrompus. Et enfin, proposition la plus folle, Le Boucher réalise une séquence de quatre cases ouvrant sur les possibilités infinies d’une mise en abyme vertigineuse. Une proposition délirante qui mérite que l’on s’y attarde, tout comme l’ensemble de cette exposition dont les cartels optent pour un ton littéraire teinté d’humour qui ajoute à la dynamique de la réponse proposée par les différents dessinateurs (et sauve parfois certaines propositions !).

Derrière la montagne, la face cachée du tableau
Au couvent Sainte-Cécile, jusqu’au 14 mars


L'art de la séquence

L’une des qualités de cette exposition est d’avoir eu l’intelligence, dans l’invitation qui était faite aux auteurs, de les inciter à jouer de la grammaire même de la bande dessinée. Effectivement, la proposition initiale n’est pas simplement de rendre hommage à tel peintre ou tel tableau mais bien d’imaginer un avant, un après, bref, d’amorcer le début d’un strip dynamique qui enclenche les possibles narratifs. Autrement dit, de s’engager dans ce qui est l’art même du bédéiste, dont la mise en forme par des séquences d’images constitue la singularité. En effet, contrairement à ce qu’on entend parfois, ce qui caractérise la bande dessinée n’est pas la présence de bonhommes à gros nez, ni même l’usage des bulles pour faire parler les personnages, mais bien la maîtrise de l’art subtil de la mise en séquence : quel point de vue est adopté d’une image à l’autre ? Quel espace temporel est laissé entre deux cases ?

Dans l’exposition, la plupart des auteurs ont joué de ces particularités. Entre le tableau et le dessin réalis, il se passe parfois une seconde, d’autres fois un siècle. Souvent, le point de vue adopté par le bédéiste inscrit la peinture de référence dans un contexte spatio-temporel élargi ou offre un contrechamp révélateur invitant à réinterpréter le tableau initial. Un seul regret, celui de ne pas avoir invité (peut-être ont-ils refusé…) davantage d’auteurs ayant prouvé leur capacité à jouer brillamment de ces possibilités (on pense aux membres de L’Ouvroir de Bande Dessinée Potentielle). On ne va pas chipoter : on ne peut que se réjouir qu’une fois de plus, la fondation Glénat réunisse des formes artistiques que certains ont encore du mal à imaginer cohabiter.

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