Baisse-moi

Comment un directeur de salle aborde cette rentrée où sont annoncées des baisses de financements de toutes parts (État, département…). Comment voit-il l’avenir compte tenu de ces incertitudes ? Quel regard porte-t-il sur son métier et sur les activités culturelles en général ? On a rencontré trois des principaux directeurs de salle de l’agglo pour évoquer avec eux ces sujets. Magnéto. Propos recueillis par Aurélien Martinez

En France, les activités culturelles sont financées à hauteur de 70 à 80% par les collectivités locales. Ainsi, un théâtre comme l’Hexagone reçoit 22% de ses subventions de la part de l’État, les 78 % restants provenant des collectivités – la ville de Meylan en premier lieu, puis le conseil régional, et enfin le conseil général. Or, outre la possible suppression de la clause de compétence générale (1) un temps prévue par la réforme des collectivités territoriales, plusieurs facteurs pourraient condamner ces financements multiples : que ce soit du côté des collectivités territoriales, en quête constante de financement du fait du transfert de nombreuses compétences sur leurs épaules, et de la disparition de certaines de leurs recettes, ou du côté de l’État avec sa politique de diminution de ses coûts de fonctionnement (2).

«Les flous ne sont jamais bénéfiques»

«Que font les collectivités locales aujourd’hui ? On leur a supprimé la taxe professionnelle, on leur dit qu’il y aura des compensations en euros constants garanties sur deux-trois ans – quid d'après ? Donc, les collectivités elles-mêmes prennent peur, font gaffe et anticipent. La plupart ne veulent pas trop augmenter la pression fiscale. À partir de là, elles resserrent leurs budgets. Et qui en subit les conséquences ? Ce sont les structures très proches d’elles mais qui n’en dépendent pas uniquement» déplore Jacky Rocher de la Rampe (Échirolles). «Il y a un souci de financement des collectivités territoriales, qui diminuent donc les crédits culturels. C’est un vrai problème, car elles risquent de se concentrer uniquement sur leurs compétences obligatoires» s’inquiète Michel Orier de la MC2, en évoquant ainsi la baisse de 100 000 euros sur les subventions allouées à son établissement par le département.

Situation similaire à l’Hexagone de Meylan (subventions départementales en baisse depuis deux ans pour la programmation – le festival arts-sciences, en progression, est compté à part). Antoine Conjard, le directeur du théâtre : «Je ne pense évidemment pas qu’ils le font de gaieté de cœur. Pourtant, le coût de l’activité culturelle est quand même peu de choses comparé à l’ensemble des budgets que peut gérer un conseil général. C’est donc faire des économies là où ce n’est pas la peine d’en faire. À un moment donné, justement parce que les budgets deviennent difficiles, il faut mettre l’argent sur les priorités. Et la culture en est une

Au niveau de la région, Jean-Jack Queyranne s’est engagé cet été à Avignon à maintenir en 2011 ses crédits pour le spectacle vivant et la création artistique. Quant à l’État, la politique serait aussi au maintien dans la plupart des cas (ce qui signifie une baisse, compte tenu de l’inflation), mais rien n’est encore sûr. Jacky Rocher : «On est dans un immense sac d’incertitudes qui se traduit par des prudences, des frilosités et des crispations. Les flous ne sont jamais bénéfiques. Je préfère des nouvelles dures parfois, mais au moins qu’elles soient claires et nettes

«On licencie des artistes»

Comment donc affronter cette situation incertaine quand le travail d’un directeur de salle est justement d’avoir une vision sur le long terme, en soutenant par exemple des jeunes artistes et en s’engageant sur des projets pour les années à venir ? Nos trois interviewés ont donc dû anticiper, et faire des économies à court terme là où cela était possible. Ils ont tout trois décidé de maintenir l’ensemble de leurs activités de sensibilisation des publics. Antoine Conjard : «Si on commence à couper dans ce qui sera le futur de nos spectateurs, on se tire une balle dans le pied

Alors il a fallu aller chercher ailleurs. La Rampe a ainsi diminué sa programmation annuelle de cinq spectacles pour cette saison. Avec aussi une baisse des coproductions. Comme à l’Hexagone : «Coproducteur, ce n’est pas pour mettre des barrettes sur son blason, mais c’est permettre à des artistes de développer leurs projets. Pour les compagnies, ça devient un casse-tête incroyable. Là où il y a dix ans, une compagnie arrivait à monter son projet avec trois ou quatre coproducteurs, aujourd’hui, il lui en faut dix, quinze, voire des fois vingt […]. Donc, à l’Hexagone, on continue, mais on réduit une capacité financière sur l’artistique. Et quand on baisse les financements de la scène, on licencie des artistes

À la MC2, Michel Orier, qui a choisi de maintenir son volume de programmation, a diminué «tout ce qui est annexe au corps de programmation» : suppression temporaire du festival Cabarets (dont la première édition avait eu lieu en décembre dernier), fin du partenariat avec le Festival de Jazz et celui des 38e Rugissants (comme à La Rampe)… Des ajustements légers (aucun théâtre n’a pour l’instant réduit drastiquement ses activités) mais dont personne ne sait, pour l’instant, s’ils devront être amplifiés…

«Un besoin vital»

En cette rentrée, l’inquiétude est donc mesurée, mais présente. Non par simple corporatisme ou protection d’un pré carré nous expliquent-ils. Il s’agit plutôt de défendre une vision de ce que doit être la culture, et son rôle dans notre société. Michel Orier : «Je ne suis pas du tout pessimiste sur nos métiers, et sur la culture en règle générale. En particulier en France, et encore plus à Grenoble : c’est un besoin vital de la population, un idiome, quelque chose d’identitaire. On n’imagine pas Grenoble sans la vie culturelle qui va avec, sinon la ville périclite dans les cinq ans qui suivent. Dans un monde où tout se dématérialise, la chose qui n’est pas duplicable à l’infini, c’est précisément d’être dans une salle de spectacle, et d’avoir une relation vivante avec des gens sur un plateau. Les courbes de fréquentation de l’ensemble des salles en témoignent : c’est loin de s’éteindre, et ça va continuer de se développer. Si demain, j’avais les moyens financiers de faire 50% de représentations en plus dans la maison, elles seraient pleines de la même façon. Je sais bien que les arbres ne montent jamais jusqu’au ciel comme disent les Chinois, mais on n’est pas en haut de la courbe

Et quand on lui demande, de façon sciemment provocatrice, si cette crise n’est pas un moyen de voir comment l’on pourrait faire différemment : «Les activités qui sont les nôtres sont des activités, dans quelque pays que ce soit, qui ne sont jamais couvertes par le ticket d’entrée des spectateurs. Il y a des pays où le mécénat fait la différence, d’autres où c’est le public, d’autres où c’est un mix de tout ça… On a la chance d’être dans un pays qui a une réelle politique culturelle depuis la Libération… Si ça change, on sera obligés d’augmenter les tarifs […]. Après, en arrière-plan, s’il s’agit d’affirmer que l’on peut inventer autre chose, d’autres modèles, moins gros, mois chers, moins tout ça, pour moi, c’est du poujadisme. Je suis désolé : quelqu’un qui travaille dans le milieu de la culture doit être payé. Je veux bien que l’on fasse croire à la terre entière que dans la marge, on peut faire des économies – ce qui est vrai –, mais en ce qui concerne une institution comme la MC2, on n’a pas d’alternative à ça».

 

 

(1) La clause de compétence générale prévoit une compétence partagée entre la commune, le département et la région en matière de sport, de culture et de tourisme – donc une possibilité de financements multiples pour ces activités. Il a été un temps décidé de la supprimer, mais le gouvernement semble faire machine arrière au vu de l’émoi suscité dans les milieux culturels et associatifs. Mais rien n’a encore été acté.

(2) Avec la fameuse Réforme générale des politiques publiques (RGPP), destinée à faire des économies en temps de crise et qui a pour conséquence, par exemple, l’annonce d’une baisse des moyens alloués à la création artistique (l’un des piliers de l’action du ministère de la culture), ou encore une diminution d’effectifs dans les Directions régionales des affaires culturelles – les services déconcentrés du ministère de la culture en région.

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