Le Méliès rebat les cartes

Le samedi 23 juin, veille de la fête du cinéma, ouvrira le nouveau Méliès, qui abandonnera ainsi son unique écran rue de Strasbourg pour trois salles spacieuses en pleine Caserne de Bonne. Un déménagement et un agrandissement attendus de longue date, qui vont quelque peu redéfinir le paysage du cinéma d’art et d’essai à Grenoble.

Quartier de Bonne, entre Championnet et les Grands boulevards. Ce qui n’était encore il y a dix ans qu’une caserne à l’abandon est aujourd’hui une mini-ville un peu Playmobil, avec ses immeubles flambant neufs, son centre commercial lounge, son parc design... Et maintenant son cinéma art et essai doté de trois salles ; soit le Méliès, cinéma associatif situé auparavant rue de Strasbourg.

Un projet de déménagement et d’agrandissement dans les cartons depuis un petit bout de temps, comme l’explique Bruno Thivillier, directeur des lieux. « On avait besoin de grandir, nous qui avions un outil un peu obsolète, datant de 1967, avec une seule salle de 96 fauteuils... L’idée est née en 2002. La première venue sur le site, c’est 2003. À l’époque, c’était encore vraiment la Caserne de Bonne, avec des bâtisses militaires, des écuries... C’était sauvage, il y avait un terrain de foot, plein d’herbes folles. J’ai alors rédigé un projet d’agrandissement, que l’on a présenté aux élus de Grenoble, et au directeur de l’entreprise qui avait la maîtrise du site. La Ville a alors pris du temps pour le valider et le lancer [la première pierre a été posée à l’été 2010 – NDLR], même si très vite, les élus nous ont apporté leur soutien, en expliquant avoir envie de faire de la Caserne de Bonne une sorte d’étirement du centre-ville, et un véritable poumon culturel. »

« Un obstacle à franchir »

2002 – 2012 : dix ans. C’est long, très long. Le projet a ainsi été retardé pour de nombreuses raisons, allant de la redéfinition du parc immobilier environnant (le nouveau Méliès est situé sous des appartements qui, du fait de la crise immobilière, ont été transformés en logements pour personnes âgées), aux différents blocages émanant de la chaîne de décision. Notamment une grosse épreuve à surmonter en 2008.

« On a été confrontés au refus de la commission d’aide sélective du Centre national du cinéma de nous accompagner financièrement. Ça a été un vrai coup de frein – nous tablions sur quelque 500 000 euros tout de même ! –, que l’on a néanmoins vécu comme un obstacle à franchir, en se disant que le cinéma art et essai avait quand même toute sa place dans des villes de la taille de Grenoble. »

Car derrière la simple transformation d’un cinéma de quartier se cachent d’autres enjeux économiques, comme l’analyse Bruno Thivillier. « La commission expliquait que l’on proposait un projet trop ambitieux – le passage de une à trois salles –, et surtout que l’on allait faire concurrence à Pathé, qui à l’époque détenait le Club. Ce qui apparaît clairement, c’est que dans ces commissions, il y a une force de lobby très grande. On sait qu’il y a eu des pressions pour que ce projet ne voie pas le jour. Ce qui était assez incroyable, puisqu’à l’époque, Pathé détenait Échirolles, mais aussi déjà Chavant, qu’il avait racheté à la Nef [les propriétaires de la Nef et des 6 Rex détenaient à l’époque ce qui s’appelait encore la Nef Chavant – NDLR] et le Club... Ce qui en faisait un protagoniste qui était en situation de quasi monopole sur la ville ! »

« Être intelligent »

Mais aujourd’hui, la donne a quelque peu changé, le Club s’étant affranchi du groupe Pathé, ce dernier ne voyant pas d’un bon œil l’agrandissement du Méliès (Patrick Ortega, le directeur, a racheté les lieux avec deux associés). Un agrandissement qui va forcément redéfinir le paysage local des salles de cinéma, déjà tendu du fait de la concurrence entre établissements privés (les cinémas traditionnels) et les associatifs (comme le Méliès, qui perçoit des subventions), sans forcément créer de conflit comme l’explique à tour d’interviews Eliane Baracetti, l’adjointe à la culture de Grenoble. Comprendre qu’il ne faut pas s’énerver, il y aura de la place pour tout le monde.

Pourtant, avec ce nouveau Méliès, des chevauchements seront possibles. L’ouverture des bâtiments neufs se fera ainsi samedi soir avec la projection d’Holy Motors, dernier film de Leos Carax : une opération qui n’aurait pas pu se faire dans les anciens locaux, trop exigus pour ce genre d’évènements attirant pas mal de spectateurs. Et donc une opération qui, en l’absence de nouveau Méliès, se serait sans doute déroulée dans un autre cinéma grenoblois...

Le Méliès souhaite aussi se positionner clairement sur des films art et essai plus grand public, comme peut le faire le Club par exemple. « Les premiers films de Ken Loach ont été montrés au Méliès rue de Strasbourg dans les années 1980, les premiers Lynch aussi, Almodóvar... Et forcément, par besoin et nécessité d’exposition des films, on a perdu ces auteurs puisque l’on n’avait pas la capacité de les accompagner. Maintenant, on va poursuivre cet axe de découverte, en programmant des premiers films, mais on va aussi profiter des fruits du travail en proposant les films d’auteurs que l’on suit et que l’on apprécie. Des auteurs que l’on va se partager avec d’autres : avec le Club bien entendu, l’autre lieu labélisé art et essai à Grenoble ; avec la Nef en partie, qui est en dessous de 70% de séances art et essai, ce qui ne lui permet pas d’obtenir le label... On a conscience d’être dans un contexte concurrentiel, à deux, voire trois, voire quatre maintenant que Chavant se met à la VO... La donne va être modifiée. Il s’agit d’être intelligent de part et d’autre, et de partager un peu mieux les films et les auteurs. Ça va prendre du temps, ça va être tendu au début, mais il est normal que l’on puisse nous aussi avoir accès à un travail que l’on ne pouvait plus faire depuis longtemps. »

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