Philippe Mouillon, de Paysage > Paysages : « Réinvestir le local »

Paysage : mots pour mots

Musée de Grenoble

ce spectacle n'est pas à l'affiche actuellement

« L’Isère les yeux ouverts » : voici le sous-titre explicite du gros événement expo (mais pas que) de la rentrée, baptisé Paysage > Paysages. Une nouvelle manifestation culturelle portée par le département et pensée par les Grenoblois du groupement Le Laboratoire, spécialisé dans les « interventions artistiques d'échelle urbaine ». On a rencontré Philippe Mouillon, directeur artistique du Laboratoire pour, au-delà des chiffres (« 7431 km2 pour 160 rendez-vous, 72 communes, 7 week-ends… »), en savoir un peu plus.

Avec Paysage > Paysages, vous souhaitez clairement que les Isérois s’approprient leur environnement le plus proche…

Philippe Mouillon : Après 20 ou 30 ans de mondialisation, nous sommes entrés dans un autre rapport à la mondialisation : il faut maintenant réinvestir le local, s’en préoccuper. Le projet Paysage > Paysages, comme son nom l’indique, est centré sur le paysage, soit les archives de nos civilisations, du rapport de l’homme aux animaux, aux plantes, aux territoires… Si on passe un peu de temps sur un paysage, on se rencontre que, bien sûr, plein de choses sont effacées mais plein d’autres sont encore présentes ; et elles peuvent avoir 3000 ans, 1500 ans, 500 ans, 3 mois… Cet étagement des rapports homme-nature est assez magnifique.

Quand vous parlez de Paysage > Paysages, vous avez aussi un discours écologique (le réchauffement climatique qui menace les paysages), politique (le paysage n’exclut pas, tout le monde peut se l’approprier), et aussi artistique. Pouvez-vous développer ce dernier point ?

Nous vivons un changement de régime esthétique. La perspective, régime dominant depuis quatre siècles, c’est-à-dire depuis la Renaissance, s’effondre. Quand on regarde une image sur Google Street View, on n’est plus dans une perspective de la Renaissance mais dans une construction algorithmique qui n’a rien à voir. Ces systèmes de représentation du monde sont en train d’exploser et d’être incroyablement démocratisés – on peut maintenant louer un emplacement de camping en allant le voir avant sur le web !

Le philosophe François Jullien, cité dans l’exposition Le Paysage : mots pour mots au Musée de Grenoble, nous rappelle que le dictionnaire Le Robert définit le paysage comme une portion de nature qui s’offre à la vue de l’observateur. Mais la nature, elle n’en a rien à foutre de l’observateur ! Cette définition montre que l’homme occidental vit dans une illusion fructueuse qui a permis la perspective et toutes les sciences. Mais il a urgence à ce que l’homme comprenne qu’il fait partie du milieu, ce que pour le coup ont toujours dit les artistes.

Comment le visiteur peut-il s’approprier l’événement Paysage > Paysages, qui est si immense ?

C’est vrai, c’est un événement d’une ampleur inconnue et exceptionnelle à Grenoble : on a une scène de 7431 km2, soit la surface de l’Isère. Ça dure en plus trois mois, avec une programmation déployée sur tout le territoire : il peut y avoir un film à La Tour-du-Pin, une exposition au Musée de Grenoble… Il y a ainsi 160 événements de formes différentes. Alors bien sûr, on ne pense pas que tout le monde va goûter à tout, mais en proposant diverses portes d’entrée, on se dit que tout le monde pourra en prendre une.

Dans les 160 événements, il y a de tout : des expositions bien sûr (au Musée de Grenoble, au Musée Hébert, au Vog, à la MC2…) mais aussi diverses animations comme des projections, des rencontres, des activités pour les plus jeunes…

C’est vraiment un choix stratégique de notre part depuis le départ il y a trois ans : celui d’associer toutes les institutions et les porteurs de projets qui le voulaient. Plus les réunions trimestrielles avançaient, plus le nombre de partenaires augmentait. On a pris ça comme un signe fort que le nœud problématique mordait, qu’il y avait une vraie potentialité. Comme c’était la première année, il était cohérent de dire : bienvenu à tout le monde, même à ceux qui avaient déjà des projets avant de nous rencontrer, comme au Musée Géo-Charles [l’exposition Paysage ou l'étrange idée du beau a débuté bien avant le début de Paysage > Paysages, mais a été intégrée ensuite dans la manifestation – NDLR]. Et bien sûr on a aussi cofinancé certains projets, et financé à 100% certains autres.

Cette multiplicité de lieux d’accueil, du très institutionnel musée en ville à la salle des fêtes en montagne, permet elle aussi de toucher un maximum de monde…

Oui, c’est le but. Par exemple, l’artiste Jeremy Wood fait quatre choses. Il va présenter au Vog des œuvres déjà réalisées à l’étranger, principalement en Angleterre. Il est aussi venu en janvier et a installé des GPS sur les dameuses dans certaines stations de ski. Il est revenu en juillet et en a mis sur les tracteurs, les moissonneuses-batteuses, les chiens de berger, les troupeaux en alpage… Et en ce moment il prête des GPS à tous les étudiants qui le veulent pour tracer une immense œuvre sur le campus. Dans ce cas précis, comme il a embarqué pas mal de monde et notamment des paysans, on s’est dit que tous ne viendraient jamais au Vog, donc a programmé une expo à Villard-de-Lans. On va vraiment chercher tous les publics.

La manifestation est fortement portée par le département de l’Isère. Comment ce partenariat est-il né ?

Bonne question ! J’ai eu un jour rendez-vous avec le maire de Grenoble : le projet ne l’a pas intéressé, alors que je pensais que le paysage lui parlerait comme il est écolo ! Ensuite, on en a discuté avec la Métro [la communauté d’agglo – NDLR] qui a été très intéressée mais qui n’a jamais rien décidé. Puis on en a parlé au département qui, après réflexion, a accepté de partir avec nous, de porter financièrement le projet, de le démultiplier, pour en faire une colonne vertébrale de sa politique culturelle des années à venir. On a dit oui.

Mais la ligne artistique reste entre les mains du Laboratoire. D’ailleurs, qu’est-ce que le Laboratoire ?

On est une équipe artistique basée à Grenoble et spécialisée depuis des années dans les interventions monumentales dans l’espace extérieur. On a été invités à São Paulo, Rio de Janeiro, Johannesburg, Vancouver… On est profondément habitués à des populations multiples, et on s’est spécialisés par la force des choses dans les questions d’identité contemporaine. Aujourd’hui, on est par exemple très attentifs au phénomène de repli identitaire. On a du coup des complicités longues avec des grands penseurs du monde contemporain.

Récemment, devant des étudiants, je rappelais que Fernand Braudel [1902 – 1985], le grand penseur de l’identité avec son ouvrage L’identité de la France, disait que nous sortons d’une civilisation de paysans arrêtés dans un territoire qui a duré 40 000 ans, avec un sentiment identitaire lié au territoire comme on l’a vu lors de la Première guerre mondiale. Puis il a expliqué qu’en quarante ans, en l’espace de deux générations, on est devenus une civilisation qui n’est plus ancrée. Et il a expliqué que personne ne travaillait dessus, qu’il y a urgence à fabriquer de la pensée dessus. Un problème symbolique que nous avons décidé d’embrasser au Laboratoire.

C’est la saison 1 de Paysage > Paysages. Ce qui veut dire qu’il y en aura d’autres ?

Le président du conseil général de l’Isère Jean-Pierre Barbier s’est engagé jusqu’en 2020, date de la fin de son mandat. Et il y a clairement l’envie de fabriquer un événement majeur, ouvert à tous – c’est pour ça que presque tout est gratuit –, sur trois mois – le temps d’une saison – et ce tous les quinze mois pour exploiter des saisons différentes. Donc là on est sur l’automne, la fois d’après on sera sur l’hiver, peut-être plus en montagne avec des artistes qui inventent des choses avec la neige… Ça nous oblige à des écritures artistiques innovantes, mais ça nous a semblé malin et cohérent par rapport au sujet du paysage.

Paysage > Paysages
Jusqu’au 15 décembre 2016
Programmes chaque semaine dans le Petit Bulletin ou sur lelaboratoire.net/paysage-paysages

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